Why the Fed is Still Hesitating About Raising its Interest Rates

<--

Pourquoi la Fed hésite encore à relever ses taux d’intérêt

La banque centrale américaine a du mal à savoir où en sont le chômage et l’inflation aux Etats-Unis. Elle hésite à durcir sa politique monétaire, d’autant plus que des élus du Congrès ne lui pardonneront pas un faux pas.

Rester libre. Libre de décider au moment opportun de relever les taux d’intérêt pour la première fois depuis près d’une décennie, une décision qui risque de faire valser des milliers de milliards de dollars à travers la planète. Telle est l’obsession de Janet Yellen, la présidente de la Réserve fédérale des Etats-Unis. Pas question de s’enfermer dans un calendrier. Le mois dernier, les investisseurs racontaient que la Fed n’augmenterait pas ses taux lors d’une réunion sans conférence de presse – seule une réunion sur deux du Federal Open Market Committee, qui pilote la politique monétaire, est suivie d’une telle conférence. Trop contraignant ! La Fed a testé fin avril un système qui permet d’improviser une conférence par téléphone. Les mêmes investisseurs indiquaient clairement ces dernières semaines qu’ils attendaient la hausse pour 2016. Trop astreignant ! Vendredi 22 mai, Yellen expliquait qu’« il sera approprié à un moment donné cette année de faire le premier pas ». Quitte à expliquer ensuite que la réalité a changé…

Après avoir été guidée par l’objectif de la baisse du chômage, la politique de la Fed est désormais « data-driven » – pilotée en fonction de l’état de l’économie américaine, révélé par toute une batterie d’indicateurs. Autant dire qu’elle hésite, comme jamais dans son histoire. Parce qu’une première hausse de taux est sa mission la plus délicate – « retirer le saladier de punch de la table quand l’ambiance de la soirée commence à chauffer », selon William McChesney, qui présida la Fed pendant deux décennies après-guerre. Parce que les enjeux sont colossaux après la plus grave crise financière depuis près d’un siècle. Mais aussi parce que l’incertitude est immense sur l’état réel de l’économie américaine et, au-delà, sur sa réaction à l’augmentation du loyer de l’argent.

En mars, Janet Yellen a insisté dans un discours sur le « taux d’intérêt réel d’équilibre », qui doit guider sa politique monétaire. Ce taux est censé permettre à la banque centrale d’atteindre ses deux principaux objectifs : un emploi maximal et des prix stables. Parmi les dizaines de méthodes employées pour l’évaluer, celle citée par Yellen, élaborée par Thomas Laubach (qui travaille à la Fed) et John Williams (actuel président de la Fed de San Francisco), indique aujourd’hui… un taux négatif. Yellen l’explique par les « vents contraires » qui ont soufflé depuis la crise financière : durcissement de l’accès au crédit, volonté des particuliers de se désendetter, politique budgétaire restrictive, incertitudes pesant sur l’investissement. Des vents devenus moins puissants en 2014. Toute la question est donc de savoir quand le taux neutre va remonter, et à quel rythme.

Mais la mécanique de l’inflation comme celle de l’emploi ne fonctionnent plus comme avant. Du côté des prix, les salaires ne montrent pas le moindre signe d’emballement. La pente est inférieure à 2 % pour le salaire horaire. Les nouvelles technologies, la concurrence croissante des émergents pèsent sur les bas salaires. La migration d’usines du nord des Etats-Unis vers le sud, moins syndicalisé, fait baisser le niveau et donc le coût de la protection sociale. Le marché du travail peut-il encore enclencher une spirale de hausses de prix ? Rien n’est moins sûr. Et pour compléter le tableau, des facteurs temporaires poussent à la déflation. La poussée du dollar, qui a gagné 15 % face aux autres monnaies en un an, fait baisser les prix à l’importation. Et la diminution de moitié du baril de pétrole fait reculer les prix de l’énergie.

Sur le front de l’emploi, c’est encore plus compliqué. A première vue, tout va bien, avec seulement 5,4 % des actifs au chômage – deux fois moins qu’en France ! Mais le taux d’activité (proportion des 15-64 ans ayant un emploi), qui a reculé de quatre points depuis la crise, est le plus faible depuis les années 1970. Ce changement viendrait pour moitié du vieillissement de la population – aux Etats-Unis comme en Europe, l’emploi est moins fréquent passé 50 ou 55 ans. Le mystère règne sur l’autre moitié. La Fed est donc loin de « l’emploi maximum ». Et les créations de postes, qui avaient accéléré depuis début 2014, semblent ralentir.

Derrière pointe la question de la croissance de l’économie américaine, qui a disparu en début d’année pour des raisons là aussi temporaires (froid, grèves) mais qui devrait rebondir. Dans un pays qui redevient pétrolier, la chute des cours de l’or noir freinerait toutefois la production nationale de 0,5 à 1 % cette année. La hausse du dollar pèse sur les exports. L’activité étant repartie il y a déjà cinq ans, certains se demandent si le cycle de croissance n’est pas en train de s’achever. Et personne ne sait comment réagira le système financier à une hausse des taux. L’immobilier donne des signes de faiblesse à la moindre alerte sur le loyer de l’argent…

La Fed hésite d’autant plus qu’elle est elle-même en question. Aux Etats-Unis, contrairement à la zone euro, il y a toujours deux ou trois propositions de loi qui traînent au Parlement pour abolir l’indépendance de la banque centrale. Le mouvement a pris de l’ampleur avec le sauvetage des banques lors de la crise, puis la politique non conventionnelle mise en place ensuite. Les républicains du Tea Party sont virulents. D’autres parlementaires s’emparent du sujet. La démocrate Elizabeth Warren et le républicain David Vitter ont déposé début mai un texte imposant à la Fed d’obtenir l’accord du Congrès pour venir en aide à une banque. Alors même que la Fed avait été créée à la suite de la crise de 1907 pour devenir prêteur en dernier ressort… Dans ce contexte, pas question de donner prise à la critique ! Alors, relever plus tard les taux d’intérêt au risque de laisser l’inflation repartir en force ? Agir tout de suite au risque de précipiter l’économie dans la récession ? Pour préserver sa liberté, la Fed n’a sans doute pas fini d’hésiter.

About this publication