Firearms: America Faces Its Contradictions

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Après la tuerie de Parkland, une partie de la jeunesse américaine se dresse contre la législation très libérale des Etats-Unis sur les armes à feu. Réaction émotionnelle classique ou phénomène plus profond, annonçant un changement de culture ? Cette dernière hypothèse n’est pas la plus probable.

« Never Again » (« Plus jamais ça »). Au lendemain de la tuerie qui a fait dix-sept morts dans un lycée de Parkland (Floride), de nombreux jeunes Américains continuent à exprimer avec pugnacité leur désespoir et leur colère. Se pourrait-il qu’ils ne soient que la version contemporaine de ces anciens combattants de la Première Guerre mondiale, qui avaient créé des associations « Plus jamais la Guerre » au lendemain du conflit le plus meurtrier de l’histoire ? Vingt ans après, le monde replongeait dans l’horreur.

Multiplication des tueries

« Plus jamais ça ». La formule devrait-elle nous inciter au pessimisme, compte tenu de son efficacité toute relative hier ? Ou y aurait-il des événements, qui par leur énormité ou leur côté simplement répétitif, ou parce qu’ils se produisent au « bon moment », transforment notre rapport au réel ? Ils font que ce qui apparaissait hier comme une fatalité culturelle presque indépassable, devient seulement une série d’obstacles à surmonter ? La multiplication des tueries commencerait-elle à agir sur la conscience des Américains comme peuvent le faire, par un processus d’érosion, les vagues sur le sable des dunes ?

Logique absurd

Au lendemain de la tuerie de Newtown en 2012, alors que vingt jeunes enfants avaient été les victimes d’un tueur fou dans une école primaire, de nombreux commentateurs – y compris l’auteur de ces lignes – avaient cru, naïvement, que le Rubicon de l’horreur avait été franchi. Après Newtown, la majorité des Américains confrontés aux conséquences d’une législation sur les armes, insensée dans son laxisme, allaient enfin « se réveiller ». Ils allaient adopter des mesures de simple bon sens pour protéger la vie de leurs enfants, si ce n’est celle de leurs concitoyens adultes. Il n’en fut rien. La tuerie de Newtown apporta au contraire la preuve qu’une minorité déterminée, bien organisée derrière le puissant lobby du NRA (National Rifle Association) pouvait, s’abritant derrière une logique absurde – « Ce sont les hommes qui tuent, pas les armes » – s’opposer impunément à la majorité des Américains.

Tout se passe aujourd’hui encore comme si cette minorité oppressive ne voyait aucune contradiction à donner priorité absolue à la vie du foetus dans le ventre de sa mère, et à ignorer le sort des enfants jouant dans une école maternelle. Au lendemain du drame de Parkland, une formule délibérément provocatrice a fait le tour des réseaux sociaux : « Débaptisons les écoles, appelons les ‘utérus’, on prêtera attention au sort de leurs occupants » !

Statistiques effrayantes

De fait, les statistiques sont effrayantes. Depuis 1968, plus d’un 1.500.000 Américains ont été les victimes d’armes à feu, soit un nombre supérieur à celui de tous les Américains tués dans des conflits extérieurs depuis la naissance de la République en 1776 jusqu’à nos jours. Même la guerre civile américaine, de 1861 à 1866, ne fit qu’autour de 700.000 victimes.

Moderniser les infrastructures est une ambition louable. Victimes de leur industrialisation précoce, les Etats-Unis ont pris un retard considérable sur de nombreux pays asiatiques, partis bien plus tard dans la course à la modernité. Donald Trump, comme d’autres avant lui, met en avant le risque de l’effondrement d’un pont ou celui d’une tragédie ferroviaire liée à l’épuisement des infrastructures. Mais si l’objectif est de sauver des vies humaines, ce sont les lois qu’il convient de changer et pas seulement les ponts. Ces « massacres au quotidien » ne sont-ils pas en effet l’équivalent d’une guerre civile de durée indéterminée et de pas si faible intensité ? Interrogés récemment par la revue « Foreign Policy », 35 % des Américains déclaraient craindre les risques d’une guerre civile sur leur territoire. Tout se passe en effet comme si la division qui existe sur la question des armes à feu était le signe prémonitoire de l’évolution d’une société en guerre avec elle-même.

Signes positifs

Il existe pourtant des signes positifs et concrets de l’évolution de l’opinion publique. Au lendemain de la tuerie de Parkland, 75 % des Américains se déclarent désormais en faveur d’une réforme de la législation sur les armes.

Sentant l’évolution de l’opinion publique, de nombreuses entreprises commencent à prendre leurs distances avec la NRA. L’arme de l’argent avait contribué de manière décisive à la chute d’Al Capone dans l’Amérique des années 30. L’appel au boycott des entreprises qui continuent de soutenir la NRA convaincra-t-il des élus conservateurs que ce n’est pas seulement leur conscience qui est en péril, mais également leurs chances de réélection ?

Dans son pragmatisme a-idéologique, le président Trump lui-même commence à prendre ses distances avec une organisation qui a tant contribué au succès de sa campagne. C’est qu’il semble avoir compris que les jeunes qui s’apprêtent à manifester de manière massive à Washington et dans de nombreuses villes peuvent convaincre d’autres jeunes – un peu plus âgés qu’eux – à voter massivement lors des élections de mi-mandat de novembre 2018.

Petites victoires

Face à la radicalité et à l’évidence du mal, la jeunesse peut prendre la tête d’une croisade pour la vie et le bon sens. La route sera longue et semée d’embûches. Dans le meilleur des scénarios, elle se traduira par une série de petites victoires qui commenceront dans un premier temps par un contrôle renforcé sur la vente des armes automatiques et sur l’âge et la santé mentale des acheteurs. Les armes de poing peuvent être à elles seules responsables de la majorité des victimes. Mais ce sont les armes automatiques – qui s’apparentent par leur redoutable efficacité à des armes de guerre – qui produisent les « homicides de masse » comme ceux qui frappent les écoliers, les lycéens et les étudiants.

On peut s’opposer aux diktats d’un lobby. Mais on ne change que très progressivement la culture et les mentalités d’un peuple. L’Amérique restera un pays violent et dangereux.

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