Pourquoi ne pas désespérer de l'Iran 

 

Publié le 22 septembre 2007

 

LA CHRONIQUE d'Alexandre Adler

 

Si Bernard Kouchner a eu raison de ne pas parler aux Français comme à des enfants ou peut-être des nostalgiques du daladiérisme à son apogée munichoise de 1938, il aurait peut-être fallu qu'il ajoutât qu'il y avait de sérieuses motivations pour penser qu'à la différence de la guerre de Troie, les nouvelles guerres médiques n'auraient sans doute pas lieu.

 

Sans doute les Iraniens en font-ils toujours trop. Grand peuple à la culture plurimillénaire, les Persans ont eu du mal en ce XXe siècle à comprendre pourquoi ils étaient tombés si bas et se sont souvent, par voie de conséquence, enthousiasmés pour des raccourcis saisissants vers le retour au pouvoir. À la différence des sages kémalistes qui, en Turquie, se sont bien gardés de provoquer Staline ou Churchill, voilà que Rezah Pahlevi prenait fait et cause pour une Allemagne hitlérienne qui ne pouvait guère lui venir en aide. Son attitude arrogante lui coûta son trône et ébranla la monarchie jusqu'en 1953. Quant à Mossadegh, qui ne voit qu'en acceptant de discuter d'une modique compensation en faveur des anciens actionnaires britanniques, il eût divisé le front des Anglo-Saxons et sans doute bénéficié de la mansuétude des États-Unis qui ne suivaient qu'avec réticence la ligne dure de Winston Churchill ?

 

Enfin, Mohammed Rezah Pahlevi, le dernier chah, à son tour, perdit le sens de la mesure lorsqu'il réussit à transformer, avec l'aide de ses alliés vénézuéliens, la petite grève d'humeur inaugurée en 1973 par des Saoudiens humiliés en une véritable prise d'otages, économique cette fois-ci, sur l'ensemble de l'économie occidentale. Personne à Paris, à Londres ni à Washington n'avait oublié le casse du siècle, appelé pompeusement « premier choc pétrolier », lorsque les manifestations intégristes eurent commencé à ébranler son pouvoir. La plupart des Occidentaux pensaient alors qu'ils n'avaient pas volé une petite leçon de démocratie intérieure. Et voici que maintenant, avec la même arrogance aveugle que d'habitude, les mollahs à leur tour s'imaginent un peu vite que les difficultés américaines au Moyen-Orient sont telles qu'ils ne pourront rien faire contre leur passage en force au stade nucléaire.

 

Cette attitude est d'autant plus ridicule qu'elle repose sur une analyse presque exacte. Mais, de même que le diable est dans les détails, l'erreur d'analyse iranienne est dans le presque. Mossadegh avait raison en 1952 de penser que l'Occident, Grande-Bretagne comprise, allait finir par se résigner à la nationalisation du pétrole iranien, de même que l'Amérique de Roosevelt s'était résignée à la nationalisation du pétrole mexicain en 1936. Il oubliait seulement que le président mexicain Lázaro Cárdenas, avait fourni à Washington la perspective d'une alliance solide fondée sur des valeurs antifascistes partagées, notamment dans la défense de la République espagnole.

 

Mossadegh, qui aurait pu jouer la carte de la démocratie non alignée à la Nehru, fit tant et si bien que la nécessité de lui infliger un dommage politique dépassa l'enjeu pétrolier, y compris chez Staline finissant, que le nationalisme iranien en pleine effervescence ne laissait pas d'inquiéter à son tour. Aujourd'hui, il est vrai que le monde occidental s'apprête à tolérer d'importantes entorses au principe de la non-prolifération. L'Administration Bush a ainsi fermé les yeux sur le programme nucléaire militaire indien pour s'assurer les faveurs politico-stratégiques de Delhi. Et pour ce faire, il aura fallu aussi fermer les yeux sur le programme nucléaire pakistanais, dès lors que Musharraf en eut reformulé une ambition plus restreinte. Pourquoi, pensent certains dirigeants iraniens de bonne foi, l'Occident ne tolérerait-il pas un programme nucléaire iranien limité dont tout le monde sait qu'il équilibrera davantage le complexe nucléaire saoudo-pakistanais plutôt qu'il ne menacera réellement l'existence de l'État d'Israël ?

 

À cette question, la réponse est simple. Pour parvenir à un compromis, il faudrait que Téhéran trouve les mots et les gestes qui rassurent ses interlocuteurs. Sans aucun doute, les différentes démarches provocatrices d'Ahmadinejad visaient-elles à empêcher tout compromis, de manière à permettre le durcissement du régime, qui est le programme essentiel de son aile la plus intégriste. Mais à présent, la situation est en train de changer. Tout le monde a compris que, à l'issue de la présidence de George Bush, les États-Unis commenceraient à se retirer d'Irak quand bien même la guerre civile n'y aurait pas été atténuée. Et ici, par une ruse de l'histoire, la relative impuissance américaine se transforme en force : aucun gouvernement iranien ne peut se permettre d'abandonner à leur sort les chiites d'Irak. Cela implique que les Américains doivent rester sur place un certain temps.

 

Pour parvenir à une entente minimale, il faut quelques concessions importantes de Téhéran, et, alors, commencerait un long et complexe processus par lequel la non-prolifération serait formellement réaffirmée et le droit de l'Iran à disposer d'une arme atomique établie pour un futur pas nécessairement si lointain. Encore faut-il pour cela vaincre la tendance persane à l'arrogance qui poussait autrefois le roi achéménide Xerxès à donner le fouet à l'eau du détroit des Dardanelles pour la punir de la tempête qui venait de casser ses bateaux.