The 'Stain' on America is a Stain on Us All

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Guantánamo, une maladie aisément transmissible

L’INVITÉ «La preuve? Après le 11 septembre 2001, «nous étions tous Américains» et, peu ou prou, pro-Guantanamo. Il fallait ce qu’il fallait, n’est-ce pas?»

CLAUDE MONNIER, chroniqueur

Publié le 06 février 2007

La détention arbitraire des prisonniers de Guantánamo est une tache honteuse sur la réputation des Etats-Unis.

Mais l’ennui, avec les taches honteuses, est qu’elles sont une maladie aisément transmissible. On vient d’en avoir deux illustrations. La première, dans l’affaire du Ministère public de la Confédération, qui a transmis aux autorités américaines des listes de noms et des photos d’islamistes détenus en Suisse, pour qu’à leur propos elles interrogent les détenus de Guantánamo. Mais qu’elles les interrogent comment? Sous la torture, comme elles admettent peu ou prou procéder dans cette prison hors de leur territoire? La seconde, dans l’affaire Franck-Walter Steinmeier, ministre allemand des Affaires étrangères, qui, en 2002, alors qu’il était ministre de la Chancellerie du gouvernement de Gerhard Schröder, avait, par excès de prudence disons, laissé pourrir volontairement à Guantánamo un jeune Turc, né à Brême, n’ayant aucun lien avec le terrorisme. La tache honteuse américaine a contaminé ainsi deux Etats européens pourtant très à cheval sur la défense des droits humains.

Il est sain de s’en indigner. Mais un peu court d’en rester là. Après le 11 septembre 2001, l’émotion était énorme et planétaire. «Nous sommes tous Américains», disions-nous alors, et aucun gouvernement n’aurait, durant ces quelques mois de folie, supporté d’être pris en flagrant délit de faiblesse dans la lutte contre l’«islamo-terrorisme». D’ailleurs si, durant ces mois d’émotion collective, on avait posé aux populations occidentales la question: «Selon vous, faut-il frapper sans pitié les terroristes, même au risque de frapper des innocents?», l’immense majorité des gens aurait alors répondu «oui», j’en suis convaincu. Il fallait ce qu’il fallait, n’est-ce pas.

Mais là où les opinions publiques ont la totale liberté de dire blanc un jour, et noir trois mois ou trois ans plus tard, les gouvernements, eux, se trouvent en revanche ligotés durablement par les mesures éventuellement erronées qu’ils ont prises au moment de l’émotion maximale. La guerre d’Irak en donne une bonne illustration, que la population américaine a massivement soutenue au début, mais qu’elle condamne aujourd’hui majoritairement – alors que le gouvernement américain, qui se retrouve, lui, avec près de 150 000 soldats engagés sur le terrain en Mésopotamie, n’a pas la possibilité de se dédire avec une égale facilité.

Je tire donc de l’affaire Guantánamo – au-delà de l’indignation que, comme beaucoup de gens, je ressens jusqu’au fond de mes fibres – deux leçons au moins.

Première leçon: nous, bon peuple, sommes extrêmement fragiles dans nos convictions, morales notamment, et donc capables de basculer, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, d’exigences nobles et humanistes à des exigences inverses, cruelles et inhumaines. Nous sommes peu fiables et inconstants.

Seconde leçon: notre inconstance même nous incite à accuser tous les jours nos gouvernements de ne pas faire ce que, selon nous, «ils devraient évidemment faire, et tout de suite, s’il vous plaît» – comme par exemple: sortir d’Irak, créer un Etat palestinien dans les quinze jours, bombarder l’Iran parce qu’il commence à nous énerver celui-là, renverser le régime ringard de Corée du Nord, sauver le tiers monde, réformer l’ONU, ordonner la paix universelle – ou l’exact inverse, bien sûr. Or, j’y insiste, les gouvernements ne sont pas vraiment différents de nous, les peuples – juste un peu moins volatiles, un peu moins girouettes. C’est d’ailleurs pour ces qualités-là que nous les avons élus.

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