Nothing Has Changed

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Émeutes à Ferguson

Rien n’a change

Le meurtre de Michael Brown, les zigzags verbaux de la police et les émeutes qui ont suivi dans une banlieue de Saint-Louis baptisée Ferguson mettent en relief une réalité tant sociologique que politique : l’institutionnalisation rampante du racisme cinquante ans après les combats pour les droits civiques.

Située à une vingtaine de minutes de Saint-Louis, la ville de Ferguson compte plus de 20 000 résidants. Les deux tiers d’entre eux sont des Afro-Américains, mais le maire est blanc, la commission scolaire compte six Blancs, un Hispanique et aucun Noir. La police ? Elle regroupe 94 % de Blancs. À l’instar des 90 municipalités qui enclavent Saint-Louis, Ferguson confectionne son budget à coups de contraventions diverses, tickets de stationnement, etc. Bref, les revenus découlant de la pénalisation des citoyens totalisent 25 % des revenus totaux de la ville. Fait à noter, dans certaines banlieues, la verbalisation des personnes représente 50 % des revenus.

En 2013, à Ferguson, 93 % des personnes arrêtées étaient des Noirs alors qu’ils représentent, on le répète, les deux tiers de la population. Autre exemple, 34 % des chauffeurs de camion blancs étaient coupables de méfaits divers contre 22 % des noirs, mais les premiers ont été moins souvent condamnés. Pour faire court, les citoyens noirs fournissent les caisses publiques dans une proportion plus élevée que les blancs. Parmi ces derniers, on notera que ceux qui habitent les municipalités plus cossues refusent, dans la plupart des cas, d’être liés par des voies diverses aux transports en commun des agglomérations. En clair, on soulignera et on retiendra que le diktat cher au Klu Klux Klan et à ses thuriféraires, soit Égaux mais séparés, fait toujours partie du profil sociopolitique des États-Unis d’Amérique.

Ils sont furieux à Ferguson, ainsi qu’ailleurs d’ailleurs. Et on osera dire qu’on les comprend. Car l’injustice socio-économique, les malversations politiques dont ils sont les cibles constantes depuis des lunes fondent une contradiction, du reste éclatante, de ce que la Cour suprême a commandé il y a tout juste un an : l’abrogation du monument juridique des droits civiques qui garantissait l’égalité des citoyens dans l’exercice du droit de vote. Il y a un an, donc, le juge en chef John Roberts avait estimé « qu’aujourd’hui le pays n’étant plus divisé comme il l’était en 1965 », et la loi composée par Lyndon B. Johnson étant « surannée », il fallait remiser cette dernière aux archives, d’autant « que près de 50 ans ont passé, les choses ont énormément changé ». Rien n’a changé. Strictement rien.

À preuve, l’étude des professeurs John Logan et Brian Stults de la Florida State University publiée après le geste de la Cour suprême et consacrée à la ségrégation géographique. Tiens donc ! Toujours est-il qu’à la faveur de leurs travaux, le duo d’universitaires a constaté qu’à peine les lois civiques portant l’empreinte de Lyndon Johnson ayant été votées, des maires se sont appliqués à la modernisation du protocole de Birmingham de 1926. À cette date, les élus de cette ville d’Alabama avaient décrété le zonage racial et, conséquemment, « parqué » les Noirs. Au cours des quarante dernières années, la modernisation évoquée s’est poursuivie comme suit : enclaver les Noirs par les voies rapides, les autoroutes. Ceci explique cela : si le vote à l’élection présidentielle et aux législatives relève du fédéral, ce n’est pas le cas pour l’organisation du scrutin. Et alors ? Comme par hasard, le réseau des bureaux de vote des quartiers noirs était moins fourni que celui des blancs. Égaux mais séparés…

Rien n’a changé : prise 2. Après que la Cour suprême a sanctionné ce que l’on sait, le Pew Research Center a communiqué les résultats d’une analyse socio-économique. C’est bien simple, si l’actif net moyen d’un couple afro-américain totalise 5700 $, celui du latino avoisine les 6300 $ et celui du blanc dépasse les 113 000 $. Quoi d’autre ? Le tiers des Noirs ne disposent d’aucun avoir contre 15 % des Blancs. Égaux mais séparés…

Rien n’a changé : prise 3. Après que la Cour a… En juillet 2013, l’Université de Pennsylvanie a communiqué un rapport sur la santé des femmes américaines. On s’en tiendra au cancer du sein. Le nombre de femmes blanches qui ont survécu à cette maladie s’est fixé à 70 %, celui des Noires à 56 %. En raison d’une foule de variables, ces dernières sont beaucoup moins examinées que les Blanches.

On l’aura compris, tout, absolument tout, est resté en l’état. Lequel ? Celui disséqué au début des années 60. Sur le flanc politique et économique, sur le front social et culturel, le Noir des États-Unis demeure le sujet d’une abjection qui dépasse l’entendement. Hier, elle était visible. Aujourd’hui, elle se camoufle derrière le paravent de l’hypocrisie. En un mot, rien n’a changé.

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