What They’re Not Telling Us

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Ce qu’on ne nous dit pas

Qu’on se le dise parce qu’on ne nous le dit pas toujours en face : Haïti n’est pas le centre du monde. Barack Obama, le président américain, ne se réveille pas tous les matins en se demandant ce que font ses ennuyeux voisins. Oui, Haïti est plus un ennui qu’autre chose. Par politesse, les Américains ne crachent pas toujours leurs exaspérations au visage des dirigeants haïtiens.

Mais, sur une longue durée, la politique américaine, mis à part l’intérêt d’hommes d’affaires à glaner çà et là des millions, poursuit trois objectifs ou plutôt veut éviter trois choses, plusieurs décennies après l’effondrement du bloc de l’Est et de la redéfinition de certains rapports géopolitiques et stratégiques.

Primo, on ne veut plus voir des boat people, erratiques, courir sur les plages ou sur Byscane Boulevard, à Miami. Les gardes-côtes ont mis les grands moyens et ce n’est pas un hasard si les frêles esquifs bondés de désespérés de l’enfer haïtien se fracassent, coulent, meurent le plus souvent au large des Bahamas. Avec le développement technologique, l’utilisation d’équipements à détecteur thermique très pointus, Hamilton (le nom donné par les boat people à tous les navires des gardes-côtes) a des oreilles longues et de grands yeux.

Secundo, dans la stratégie de bouclier, tout est fait pour réduire, pour plomber l’activité des narcotrafiquants. Les temps où des navires venus de Port-de-Paix avec des vivres et quelquefois de la drogue dissimulée à fond de cale sont loin. Parce que « Homeland Security » veille, et que les gens de la communauté des renseignements évaluent les menaces potentielles, on ne dira jamais que la menace terroriste, en provenance d’Haïti, est nulle. Pour les Américains, un Etat failli reste un Etat failli.

Tercio, on ne voudrait pas qu’Haïti, pays où voyagent des millions d’Américains, soit un incubateur de maladies. A 90 minutes des côtes de la Floride, c’est un risque qu’ils ne prennent pas. Le CDC veille au grain et ce n’est pas par hasard que l’aide médicale américaine à Haïti -second pays dans le monde à recevoir plus d’aide de l’USAID- est aussi importante.

Par ces temps d’élections annoncées, il est bon de prendre le taureau par les cornes, de dire sans travestir même s’il n’y a à l’horizon aucune raison d’être optimiste, d’espérer qu’Haïti fasse de vrais progrès pour sortir de la liste des Etats faillis, pour redéfinir ses rapports avec les Etats-Unis, mettre sur le tapis l’échec de cette coopération paradoxalement indispensable dans certains secteurs comme la santé et la sécurité.

Les préoccupations sont autres. On craint le potentiel de violence très élevé durant les prochaines élections. Ici, on sait que les différends ne se règlent plus avec des piques, des fourches, des machettes mais à coups de T 65, de Galil.

Dans tout ça,le président Michel Martelly, pas fichu d’organiser une seule élection en quatre ans, malgré l’indécence de son appel au maintien des forces de l’ONU avant les élections, trouve des âmes charitables à « l’aider » dans son plaidoyer. Il finira peut-être, au regard des risques de déstabilisation, par obtenir ce qu’il demande. Sans se voiler la face, ce serait tant mieux d’avoir les Casques bleus par rapport à ce qui se trame. Plus d’une décennie après 2004 et malgré les progrès importants de la PNH, Haïti n’a pas encore tourné la page, ni mis un point final à la chronique du chaos.

Personne, pour le moment, ne garantit et ne peut garantir la rupture. Bien que ce soit vital, urgent, incontournable, les élites ne discutent pas actuellement de ce pacte en faveur de la démocratie, la stabilité et le progrès. Il n’y a pas de think thank dans le jeu politique. Pas de cabinets d’experts qui réfléchissent, proposent, alimentent, outillent ceux qui vont se retrouver dans les espaces de pouvoir au Parlement et dans l’Exécutif. Très souvent, les parlementaires sont porteurs de vide. Ici il n’y a pas de lobby non plus.

Poussé par des pulsions partisanes, un clan contre un autre va prendre le pouvoir. Avec, fort probablement, la bénédiction des Etats-Unis d’Amérique. Et comme d’habitude, le pays va repartir pour cinq nouvelles et longues années d’improvisation sans projet collectif pour avoir une croissance, non pas de l’ordre de ce maigre 2,7 % en 2014, mais de 6, 7, 8 % l’an sur 15 ans afin de sortir 6 000 000 d’Haïtiens de la pauvreté…

Dans cette grande déprime, les rêves d’avoir des échanges commerciaux importants avec les Américains resteront des chimères. Rien que ça même si parfois il est bon de continuer de dire ce qu’on ne nous dit pas. Dans l’espoir que se produise l’utile colère, le nécessaire sentiment de révolte pour nous tirer d’affaire. Pour qu’on cesse d’être nihilistes…

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