Why America Hates Hillary Clinton

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Pourquoi l’Amérique déteste Hillary Clinton

Elle est la mieux préparée pour occuper le Bureau ovale. Mais, même dans son camp, Hillary ne semble avoir que des ennemis…

Aux États-Unis, il y a un petit test amusant à faire dans un dîner. Prononcez le nom de Hillary Clinton et observez les réactions. Jan Flack, par exemple, pimpante retraitée démocrate qui, jusque-là, devisait affablement, se métamorphose soudain. Ses sourcils se froncent, son nez se plisse, sa bouche se tord. “Je ne l’aime pas et il faudra que je me fasse violence pour voter pour elle”, déclare-t-elle sèchement. Tout le monde n’est pas aussi poli. Rares sont les hommes politiques qui déchaînent des haines épidermiques d’une telle violence. Hillary Clinton dispose de formidables atouts : une notoriété, un réseau financier, une expérience inégalée… Mais 44 % des Américains seulement la voient de manière favorable.

Des attaques d’une rare violence

À commencer par la droite conservatrice, qui en a fait sa tête de Turc depuis des années. Elle l’a affublée de toutes sortes de surnoms – “Hitlary”, “Lady Macbeth”, “harpie castratrice” – et l’accuse d’innombrables vices : d’avoir assommé son mari à coups de lampe, décoré le sapin de la Maison-Blanche de préservatifs et même d’avoir commandité un meurtre. Celui du chat d’une prétendue maîtresse de Bill.

Hillary inspire aussi une ahurissante littérature haineuse qui glose sur ses défauts physiques. “Elle était massive et boudinée à partir de la taille, avec de grosses hanches, de gros mollets et de grosses chevilles”, écrit Ed Klein, ex-journaliste, dans La vérité sur Hillary. David Brock, dans La séduction de Hillary Rodham, compare, lui, “l’énorme sourcil qui barrait son front” à “une chenille géante”. Plus lyrique, Emmett Tyrrell décrit ce même sourcil comme tellement “épais” qu’il “aurait ramassé la poussière de charbon dans un village de mineurs gallois”. Sa sexualité, surtout, les fascine. Selon Klein, elle est à la fois frigide et lesbienne parce qu’elle a des copines homos et que Bill l’a violée. Mais il prétend également qu’elle a eu une liaison brûlante avec Vince Foster, un avocat de la Maison-Blanche. Et puis, bien sûr, on lui reproche d’avoir des ambitions dévorantes, d’être machiavélique, opportuniste… “Elle me fait peur. Je croise les jambes chaque fois qu’elle parle”, conclut Tucker Carlson, un présentateur télé.

Hillary a le talent pour se mettre tout le monde à dos

À gauche, elle n’a pas non plus que des amis. Les féministes ne lui ont pas pardonné d’être restée avec Bill. “Il est possible qu’un homme féministe progressiste soit plus actif à la Maison-Blanche qu’une ventriloque du patriarcat nantie d’une jupe et d’un vagin”, a lâché un jour Jane Fonda. À Fairfax, en Virginie, on n’est guère plus tendre. Une vingtaine de partisans de Bernie Sanders, son rival démocrate, se sont rassemblés dans un restaurant pour préparer la campagne dans l’État. L’atmosphère est festive. On grignote des cookies décorés à l’effigie de Bernie tout en jouant à un “Trivial Pursuit” basé sur sa biographie (“Dans quel sport le sénateur du Vermont s’est-il illustré ? Il a remporté le tournoi de basket de l’école primaire !”). Entre deux questions, Stephen Spitz, avocat, explique son aversion pour Hillary. “Elle est vendue aux lobbys, à Wall Street et a des positions trop va-t-en-guerre.” Elle a en effet voté en faveur de l’invasion de l’Irak et poussé à l’intervention en Libye. Maryam, diététicienne, la juge trop calculatrice. “Je ne la crois pas sincère : elle passe son temps à changer d’opinions. Elle a attendu très longtemps avant de se prononcer sur le pipeline Keystone, le mariage gay… Bernie, lui, a de vraies convictions.”

“Notre pays a une relation très compliquée avec Hillary Clinton, résume Joanne Bamberger, auteur de Love Her, Love Her Not. Le paradoxe Hillary. Je pense que c’est parce qu’elle a osé avec audace sortir publiquement du rôle attendu de la femme en général et de la première dame en particulier.” En 1978, alors que son mari est élu gouverneur de l’Arkansas, elle fait scandale en décidant de poursuivre sa carrière d’avocate et de garder son nom de jeune fille, Rodham. Ça passe mal dans cet État rural et Bill rate sa réélection. De hippie mal fagotée Hillary se métamorphose en épouse modèle, vire le Rodham et les grosses lunettes. Bill retrouve son siège.

Il n’y a pas que le sexisme. Mme Clinton a le talent pour se mettre tout le monde à dos. En pleine campagne en 1992, elle exaspère des millions de femmes au foyer en disant : “Je suppose que j’aurais pu rester à la maison pour faire des gâteaux et organiser des thés, mais j’ai décidé de poursuivre ma carrière.” Elle choque aussi les électeurs en lançant le slogan “Deux Clinton pour le prix d’un” et, plus grave, s’aliène la presse avec son côté parano, en voulant tout contrôler.

60 % ne la croient ni sincère ni digne de confiance

“À l’exception notable des frasques libidineuses de son mari, les erreurs stratégiques et tactiques les plus flagrantes de la présidence de Bill Clinton, notamment au départ, sont imputables à Hillary”, écrit Carl Bernstein dans sa biographie. La liste est longue. Il y a l’échec de sa réforme de la santé, en partie dû à son refus du compromis, le fiasco du Travelgate, où elle a limogé les employés de l’agence de voyages de la Maison-Blanche pour les remplacer par des copains, les multiples affaires éthiques comme Whitewater, un projet immobilier foireux qui a conduit à d’interminables enquêtes et à un suicide. Sans parler des meubles de la Maison-Blanche que le couple a embarqués en partant. Chaque fois, le scénario est identique : Hillary Clinton botte en touche, dénonce un complot de la droite, distille des demi-vérités et donne ainsi l’impression de cacher des choses.

Près d’un quart de siècle après son entrée sur la scène nationale, rien n’a vraiment changé. Certes, pour 60 % des Américains, l’ex-secrétaire d’État a les qualités d’un leader et 67 % lui reconnaissent une sérieuse expérience. Mais Hillary suscite toujours une violente antipathie. Selon les sondages, 60 % ne la croient ni sincère ni digne de confiance. Et 51 % sont persuadés qu’elle se moque de leurs problèmes. Le jour de l’annonce de sa candidature, des affiches barrées de la mention “Secrète” et “Ambitieuse” fleurissent à Brooklyn. Et sur Twitter, sous le hashtag #Pourquoi je ne vote pas pour Hillary, les électeurs se déchaînent : “Elle n’est pas arrivée à satisfaire son mari, elle ne va pas satisfaire l’Amérique”, écrit l’un d’eux.

Ce n’est pas faute pourtant d’essayer de changer son image. Déjà, dans un mémo rédigé dans les années 90 afin de contrer l’impression qu’elle n’était qu’une “avocate d’affaires forte en gueule”, son équipe lui conseillait de montrer “un peu d’humour”, de “se livrer davantage”. Ces derniers temps, elle fait des blagues sur Donald Trump, danse sur un plateau de télé, va acheter un bonnet pour sa petite-fille et poste des vidéos sur Snapchat. Mais ça ne suffit pas. “Les gens veulent savoir ce qui vous motive, ce qui vous inspire. Les campagnes présidentielles ressemblent à des IRM de l’âme et je ne crois pas qu’elle aime cet aspect du processus”, estime David Axelrod, ex-stratège de Barack Obama.

Toujours plus de casseroles

“Sister Frigidaire”, comme l’avait surnommée le journal de son lycée, n’a décidément pas le charisme de Bill et affiche parfois un manque de sensibilité confondant. Elle lâche ainsi dans une interview que le couple a quitté la Maison-Blanche “complètement fauché”. Une gaffe monumentale quand on sait que les Clinton ont acheté deux propriétés de plusieurs millions de dollars. Dans une vidéo récente, elle se présente comme “la championne”des classes moyennes, mais se fait payer 200 000 dollars par conférence. Et puis il y a toujours ces traficotages de la vérité. Elle a répété plusieurs fois que ses grands-parents étaient tous immigrés, alors qu’un seul est dans ce cas.

Surtout, elle trimballe toujours plus de casseroles. Au fil du temps, c’est même devenu une vraie batterie de cuisine dont elle porte en partie la responsabilité. “C’est son talon d’Achille. Après tant de temps en politique, elle se tire toujours dans le pied”, observe Bruce Buchanan, professeur à l’université du Texas. La fondation caritative des Clinton a continué, par exemple, à accepter des dons de pays étrangers pendant que Hillary dirigeait la diplomatie américaine. De la même façon, elle a installé chez elle un serveur et utilisé exclusivement une adresse mail privée lors de son passage au département d’Etat. Ce n’est pas illégal, se défend-elle sans avoir mesuré le charivari que ce genre de pratique provoquerait, une fois révélé au grand jour. Comme d’habitude, lorsque le scandale éclate, elle refuse de s’excuser et de jouer la transparence. Elle affirme qu’elle n’a échangé aucun mail classifié et qu’elle a transmis toutes ses archives au Département d’Etat, alors qu’elle a détruit certains messages. “Ce scandale rappelle à l’Amérique toutes les choses qu’elle déteste chez les Clinton – le sentiment que tout leur est dû, les privilèges, le secret, la croyance que quiconque porte le nom de Clinton se situe au-dessus des lois”, commente le site conservateur Red State.

“Peu importe que Hillary soit une femme, Bernie est plus excitant”

Pas très malin quand on entend briguer le Bureau ovale. En 2008, Hillary vantait son expérience et semblait imbattable. Et puis un jeune sénateur charismatique de l’Illinois brandissant un message d’espoir et de changement s’est pointé. Cette fois, il y a peu de chances que Hillary se fasse souffler la nomination. Mais au moins une douzaine de groupes conservateurs comme Free Beacon et America Rising se démènent pour torpiller sa candidature et “sauver l’Amérique du cancer destructeur du gauchisme” de Mme Clinton, comme le dit Stop Hillary PAC sur son site Internet. Ils passent au crible ses déclarations, fouillent dans son passé et essaient tous les angles d’attaque. Son âge (elle va avoir 69 ans), sa santé (elle a fait plusieurs malaises lorsqu’elle était secrétaire d’État), le cafouillage au Moyen-Orient, sa fortune…

Le plus dangereux pour Hillary, c’est peut-être la menace qui rôde sur le vénérable campus de l’université de Georgetown, à Washington. Au milieu de la “Place rouge”, un square en briques, Chika, une étudiante noire de 18 ans, tient le stand démocrate. Quand on lui demande pour qui elle va voter, elle répond sans hésiter “Bernie Sanders”. “Peu importe que Hillary soit une femme, Bernie est plus excitant.”

Du New Hampshire à l’Iowa, nombreux sont les démocrates à partager ce sentiment. Pour l’heure, et mieux que quiconque, Hillary peut toujours tirer gloire de sa notoriété. Dans un mail récemment publié, elle évoque un gangster qui a braqué une banque affublé d’un masque à son effigie. “Dois-je me sentir flattée ?” se demande-t-elle.

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