The Symptom and the Disease

<--

La polémique autour des Oscars, c’est le symptôme. Le mal, lui, est beaucoup plus profond. Je parle bien sûr du manque de diversité à l’écran soulevé par le mouvement #OscarsSoWhite, né il y a un an, qui fait la manchette plus que jamais aux États-Unis.

Jeudi, le président Barack Obama a commenté pour la première fois la controverse entourant le dévoilement, le 14 janvier, des finalistes aux Oscars. Parmi les 20 acteurs retenus, on n’en compte aucun issu d’une minorité ethnoculturelle pour la deuxième année consécutive.

«Sommes-nous convaincus que tout le monde a une chance équitable?», a demandé Barack Obama, en élargissant le débat à l’ensemble de la société américaine. Il a ajouté que l’Académie des arts et des sciences du cinéma, qui détermine qui sont les finalistes aux Oscars, «doit être en phase avec notre réalité».

C’est pour tendre à cette égalité des chances et à ce reflet de la réalité que la présidente de l’Académie, Cheryl Isaacs, elle-même afro-américaine, a annoncé récemment des mesures afin de doubler d’ici 2020 le nombre de femmes et de personnes issues de minorités visibles parmi ses membres. L’Académie, qui compte 6000 membres dont l’âge moyen est de 62 ans, se compose actuellement à 70 % d’hommes et à 94 % de Blancs (et à seulement 2 % de Noirs).

Certains ont décrié ces nouvelles mesures, en regrettant que l’Académie s’éloigne du principe qui a toujours guidé la sélection de ses membres: le mérite et l’excellence. «Admettre des membres en fonction de leur genre ou de leur ethnicité, c’est laisser entendre que ceux-ci voteront en fonction de leur genre ou de leur ethnicité», s’est désolé un technicien dans une lettre ouverte à l’Académie publiée dans le Hollywood Reporter. La méritocratie est une belle illusion. Comme du reste le rêve américain…

La polémique des Oscars n’est que le symptôme d’un mal plus profond, disais-je. Ce mal ronge insidieusement, non seulement les États-Unis, mais l’Occident. Il est le produit de sociétés dirigées par des hommes blancs hétérosexuels qui refusent de constater, sinon d’admettre, tous les avantages liés au fait d’être né ni femme ni minorité visible ni homosexuel.

Des hommes qui préfèrent parler de mérite et d’excellence plutôt que de se questionner sur leur surreprésentation au sein d’un organisme prestigieux, dans une société composée à 50 % de femmes et à 38 % de minorités visibles. Des hommes qui refusent de remettre en question une industrie, celle du cinéma hollywoodien, qui ne reflète en rien la réalité sociale, ethnique et économique américaine, ni devant ni derrière la caméra.

Pour être admis dans un cénacle sur la foi du mérite et de l’excellence, encore faut-il avoir l’occasion de se faire valoir. Pour entrer dans un boys club blanc et hétéro, quand on est une femme, un Noir ou un gai, il faut que les règles du club soient assouplies.

Je ne dis pas qu’il faut modifier les règles de sélection des finalistes des Oscars pour contenter Will Smith (certainement pas le mieux placé pour mener la fronde). Je parle de donner un coup de pouce au destin, afin que davantage de scénaristes, de réalisateurs, d’acteurs et de producteurs issus de minorités – j’inclus ici les femmes, qui sont traitées comme une minorité dans notre société – puissent être vus et entendus.

Je parle, oui, de cette formule honnie: la discrimination positive. Lorsque les choses stagnent, il faut parfois un appel d’air. Sans gestes concrets, une volonté reste une théorie, aussi bonne soit-elle.

«Lorsque l’histoire de chacun a l’occasion d’être racontée, l’art s’en porte mieux», a plaidé Barack Obama jeudi, de passage à Los Angeles. Ce ne sont pas que des paroles fleur bleue. Une oeuvre d’art est un point de vue. Plus il y a de points de vue, plus il y a de profondeur et de richesse. L’art vu à travers le seul prisme du regard de l’homme blanc, c’est forcément moins intéressant.

Le plus rassurant dans ce débat qui fait toujours rage, deux semaines plus tard, c’est que beaucoup reconnaissent enfin le problème du manque de diversité ethnique à l’écran. Un problème qui est loin d’être propre aux Américains. Au Québec, moins de 5 % des rôles principaux à la télévision seraient tenus par des acteurs de minorités visibles, selon uneenquête de mon collègue Hugo Pilon-Larose.

La preuve que le constat du manque de diversité a fait son chemin, c’est que l’on peut désormais en rire. En témoigne ce sketch hilarant de Saturday Night Live la semaine dernière, mettant en scène une fausse remise de prix célébrant des acteurs blancs aux rôles plus que secondaires, qui dament le pion aux acteurs noirs. Ou comment faire des efforts inouïs pour ne pas récompenser un Noir…

On comprend tout à fait, dans les circonstances, le tollé soulevé par la nouvelle du choix de l’acteur blanc Joseph Fiennes pour interpréter Michael Jackson dans une télésérie britannique. Elizabeth, Michael and Marlon, dont la diffusion sur la chaîne Sky Arts est prévue cette année, raconte le voyage fictif en voiture d’Elizabeth Taylor, Michael Jackson et Marlon Brando après les attentats du 11-Septembre. Joseph Fiennes (Shakespeare in Love) incarne le «Roi de la pop», qui, malgré des troubles de pigmentation, est resté un homme noir jusqu’à la fin de sa vie.

Comment espérer davantage de reconnaissance pour les acteurs issus de minorités ethniques, dans les galas et ailleurs, lorsqu’en 2016 on choisit un acteur blanc plutôt qu’un acteur noir pour jouer un chanteur noir? Et dire que certains, chez nous, persistent à considérer le blackface comme la simple expression d’une dérive du politiquement correct…

Le mal, je le répète, est beaucoup plus profond.

About this publication