Bernie Sanders’ 2nd Youth

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La seconde jeunesse de Bernie Sanders

Le sénateur du Vermont qui dénonce le poids de Wall Street et des lobbys est très populaire parmi les jeunes. Et talonne Hillary Clinton dans la course à l’investiture démocrate, avant la primaire du New Hampshire de ce mardi.

A chacun de ses meetings, le contraste est saisissant. Lui, sur scène, visage ridé, épaisses lunettes et cheveux blancs. Et à ses pieds, dans la fosse, une foule souvent jeune qui l’acclame comme une rock star. «I love you Bernie !» s’écrient parfois quelques groupies, déclenchant un sourire amusé de la part du «papy» aux sept petits-enfants. A 74 ans, le socialiste revendiqué Bernie Sanders électrise la campagne pour l’investiture démocrate à la présidentielle et donne des sueurs froides au camp Clinton, déstabilisé par la popularité croissante du sénateur du Vermont. Notamment auprès d’une jeunesse désorientée qui boude Hillary. Lors des caucus de l’Iowa, remportés de justesse la semaine dernière par l’ancienne secrétaire d’Etat, Bernie Sanders a raflé 84 % des suffrages chez les moins de 30 ans. Il pourrait faire encore mieux ce mardi lors de la primaire du New Hampshire : selon un sondage de l’université du Massachusetts, 87 % des jeunes démocrates de l’Etat soutiennent sa candidature.

Suivre Bernie Sanders pendant quelques jours sur les routes de campagne du New Hampshire, c’est d’abord entendre trois, six, dix fois les mêmes formules. «Enough is enough !» («Maintenant ça suffit !» à propos des inégalités) ; «Healthcare is a right, not a privilege» («la santé est un droit, pas un privilège») ; «nous devons investir dans l’éducation, pas dans les prisons». Mais, au-delà des discours-types répétés au mot près, suivre Bernie Sanders donne surtout l’occasion d’échanger avec ses partisans. De comprendre leurs espoirs, leurs angoisses, leur colère. Et leur désir de révolution.

«A future to believe in»

«Il veut tout chambouler et notre pays en a bien besoin», estime Moriah Lang, une étudiante assistant à la soirée annuelle du Parti démocrate du New Hampshire. Bernie Sanders vient d’y prononcer un discours et Moriah, la vingtaine, tient encore sous le bras une pancarte sur laquelle figure le slogan de campagne du sénateur : «A future to believe in» («un avenir auquel croire»). «Mon souhait pour le futur, c’est une société plus égalitaire, où chacun puisse vivre dignement. Une société où on ne serait pas obligé de travailler un nombre d’heures délirant juste pour se payer à manger, pendant que les 1 % les plus riches continuent de s’enrichir sur notre dos», ajoute Moriah. Pour financer ses études de commerce, la jeune femme travaille 40 heures par semaine comme secrétaire.

Dans un pays où 47 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, Bernie Sanders a fait de la lutte contre les inégalités le cœur de son combat politique. «Les 0,1 % d’Américains les plus fortunés détiennent presque autant de richesse que les 90 % les moins aisés. Est-ce le genre de pays dans lequel nous avons envie de vivre ?» interpelle-t-il à chacune de ses apparitions. Pour enrayer ces inégalités «révoltantes», Sanders propose de taxer Wall Street, d’augmenter les impôts des plus riches et des grandes entreprises, de rendre les universités publiques et la santé gratuite. Il dénonce en outre un système politique gangrené par l’argent des multinationales, des lobbys et des millionnaires. Depuis une décision controversée de la Cour suprême en 2010, ces derniers peuvent en effet financer sans limite et en toute discrétion des campagnes électorales, en versant de l’argent aux comités de soutien, les fameux «Super PAC». Bernie Sanders donne souvent l’exemple des frères Koch, deux milliardaires proches des républicains qui, selon lui, pourraient dépenser 900 millions de dollars dans la course à la présidentielle de 2016. «Quelqu’un pense-t-il vraiment que la démocratie américaine devrait ressembler à cela ? Pas moi», tonne le sénateur.

Congé maternité

Perçu comme sincère et authentique, Bernie Sanders séduit les jeunes, très méfiants vis-à-vis de Hillary Clinton, jugée trop proche des intérêts de Wall Street et des milieux d’affaires. «Pour la première fois de ma vie, un candidat répond à mes inquiétudes avec clarté, honnêteté et cohérence», se réjouit Stephen Messinger, venu de Boston pour assister à un discours de Sanders dans la banlieue de Manchester, la capitale du New Hampshire. Proche de la quarantaine, cet architecte a une fille de 2 ans. Après la naissance, sa femme s’est arrêtée de travailler pendant six mois, la durée maximale autorisée par son entreprise. «Seules les trois premières semaines étaient payées. Ensuite, nous avons vécu avec près de 50 % de revenus en moins. Mais cela en valait la peine pour fonder une famille», confie Stephen. Si Bernie Sanders est élu, il promet d’instaurer un congé maternité rémunéré de trois mois.

Des choix drastiques, les jeunes Américains comme Stephen doivent en faire beaucoup : fonder une famille ? Acheter un appartement ? Faire des études ? «Je ne veux pas casser l’ambiance. Mais si nous n’agissons pas rapidement, vous serez la première génération d’Américains à vivre moins bien que vos parents», a mis en garde Sanders lors d’une visite à la Franklin Pierce University de Rindge, bourgade du sud-ouest du New Hampshire. Dans le public, Christian Larocque, 25 ans : «J’étais hésitant mais après avoir entendu son discours, je suis décidé à voter Sanders», dit le jeune homme, convaincu par la gratuité des études supérieures. Pour financer son cursus d’ingénieur industriel, il a dû contracter une dette de 130 000 dollars (environ 120 000 euros). Diplômé en 2013, Christian a rapidement trouvé un emploi dans une entreprise qui fabrique des plastiques. Sur son salaire net d’environ 3 700 dollars, un tiers part dans le remboursement de sa dette étudiante. «Je ne peux pas acheter de logement car je ne peux pas obtenir de crédit supplémentaire. Je voudrais pouvoir m’offrir plus facilement des vacances et ne pas faire aussi attention quand je vais au supermarché», raconte le jeune homme, qui dit toutefois «mener une vie confortable».

Salaire minimum

D’autres n’ont pas cette chance. Megan Jensen, 26 ans, en paraît au moins cinq de plus. Le visage marqué, cette mère célibataire de trois enfants en bas âge a les bras couverts de petites brûlures, stigmates des projections d’huile de friture chez KFC, où elle travaille. Samedi dernier, Megan a fait grève et manifesté pour la première fois afin de réclamer un salaire horaire minimum de 15 dollars de l’heure. Dans le New Hampshire, il est de 7,25 dollars. Megan, malgré dix ans d’ancienneté, émarge à 8 dollars. «Un salaire de famine», selon Sanders qui – comme Hillary Clinton – plaide pour un revenu minimum fédéral de 15 dollars de l’heure. Séduite, Megan a prévu d’aller voter pour la première fois ce mardi, «afin de donner une chance à [ses] enfants».

Si les deux candidats démocrates s’accordent sur la question du salaire minimum, leurs divergences sont réelles. Et ces dernières semaines, le ton s’est durci en même temps que l’écart se resserrait au niveau national. Vendredi, un sondage de l’université Quinnipiac (Connecticut) a placé les deux rivaux au coude-à-coude (44 % pour Clinton, 42 % pour Sanders). Dans le camp Clinton, on accuse le sénateur du Vermont de faire des promesses irréalistes. Et on assure que l’ex-Première Dame sera mieux armée pour négocier avec un Congrès républicain. Compte tenu de la haine viscérale que lui vouent les conservateurs, il est pourtant permis d’en douter.

Enfin, s’il remporte comme prévu la primaire du New Hampshire, Bernie Sanders vivra ses véritables tests lors des scrutins du Nevada (20 février) et de Caroline du Sud (27 février), deux Etats à forte population noire et latino. Jusqu’à présent, le sénateur du Vermont (Etat le plus blanc des Etats-Unis) est largement distancé par Hillary Clinton au sein des minorités. Peut-il rattraper son retard ? Lui y croit : «L’augmentation du salaire minimum, l’université gratuite, la fin des incarcérations massives… notre programme va finir par résonner au sein des communautés noire américaine et hispanique car ce sont des sujets qui les concernent.» La clé des primaires se trouve sans doute ici.

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