A Clever Choice

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Un choix habile

Un nouveau front s’ouvre dans la guerre que se livrent démocrates et républicains en cette année électorale. En désignant à la Cour suprême Merrick Garland, juge centriste de la Cour d’appel de Washington, le président Barack Obama joue d’adresse.

Pour avoir décidé qu’il fallait attendre l’issue de la prochaine présidentielle avant de combler le siège laissé vacant à la Cour suprême par la mort, le mois dernier, de l’ultraconservateur Antonin Scala, les républicains se retrouvent aujourd’hui dans une position inconfortable, pour ne pas dire ridicule.

Le choix est habile de la part de M. Obama, parce que Merrick Garland, 63 ans, est un homme dont les qualités ont été louées de tous bords depuis sa nomination à la Cour d’appel de Washington, en 1997. Centriste bon teint, il est manifestement un candidat de consensus. Or, comme tout le monde sait, il y a des années que la classe politique américaine ne parvient plus à arriver au moindre compromis.

Mardi encore, toujours prêts à pousser leur logique d’obstruction jusqu’à l’absurde, la majorité républicaine au Congrès a derechef fait savoir qu’il n’était pas question pour le Sénat, dont c’est la responsabilité d’approuver le choix présidentiel, de lancer les procédures. Les républicains défendent l’argument qu’il s’agit d’une démarche trop importante pour qu’elle soit entreprise en année électorale. Mais c’est une défense qui tient mal la route, puisque dans l’histoire, ont relevé les médias américains, quatorze juges ont été nommés à la Cour suprême pendant une année d’élections.

Évidemment que l’enjeu est grand. La Cour suprême des États-Unis joue un rôle hautement politique. Ses neuf juges, nommés à vie, ont été plusieurs fois appelés à intervenir dans les grands débats de société. Leurs décisions ont des impacts sociaux prégnants. Il se trouve qu’à l’heure actuelle, suivant le décès d’Antonin Scala, la Cour est séparée par le milieu entre quatre juges conservateurs et quatre juges progressistes. Par le milieu, mais pas nécessairement de manière toujours étanche : c’est après tout l’un de ses membres dits conservateurs, Anthony Kennedy, nommé par l’ex-président Ronald Reagan, qui a fait pencher la balance l’année dernière en faveur du mariage homosexuel. Que M. Garland, cela dit, soit autorisé à accéder à la Cour suprême ferait de la composition de cette dernière la plus « libérale » des cinquante dernières années.

Le pari des républicains est limpide : bloquer la nomination d’un neuvième juge d’ici les élections de novembre prochain dans l’espoir qu’ils remportent la présidentielle, conservent le contrôle du Sénat et puissent installer à la Cour suprême un choix nommément conservateur.

Mais à refuser, par électoralisme paralysant, de se pencher sur la candidature de M. Garland, ils pèchent par grave réaction antidémocratique. Ils montrent à quel point ils glissent à droite, tirés par les ultraconservateurs du Freedom Caucus de la Chambre des représentants, un groupe d’élus dont est d’ailleurs très proche le sénateur évangélique du Texas, Ted Cruz, principal rival de Donald Trump dans la course à l’investiture républicaine. Ce dernier, tout outsider qu’il soit, est à ce sujet au diapason de la majorité républicaine : qu’il devienne président — tout est possible — et le pouvoir lui reviendrait de choisir le neuvième juge.

Tout, en l’occurrence, est histoire de mathématiques électorales. Les démocrates font de leur côté le pari que cette nouvelle bataille les aidera à mobiliser la gauche et que, l’automne venu, cette cause aura fait assez mal paraître les républicains pour entamer leur majorité sénatoriale. C’est habile, mais c’est en attendre beaucoup.

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