Life after Barack Obama

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CUBA

La vie après Barack Obama

26 mars 2016 |Guy Taillefer | États-Unis

À moins d’un an de la fin de sa présidence, Barack Obama poursuit la rédaction de son testament politique. Il pourrait s’avérer que son chapitre sur Cuba soit le plus réussi, sinon le plus facile à écrire, étant donné qu’en Floride, il est acquis que l’électorat cubain s’est lentement mais sûrement rangé à l’idée que le moment est venu de rétablir les ponts avec La Havane.

Barack Obama n’est pas allé saluer le vieux Fidel à l’occasion de sa visite « historique » à Cuba, ce qui du reste aurait été étonnant. Il a plutôt posé un geste bien plus exceptionnel, celui de s’entretenir pendant près de deux heures à la récemment rouverte ambassade américaine avec une douzaine de dissidents de premier plan, ce que « même les papes » n’ont jamais osé faire, a souligné à l’issue de la rencontre la journaliste indépendante Miriam Leiva, qui est aussi l’une des fondatrices des Dames en blanc, mouvement d’opposition réunissant les épouses de prisonniers politiques.

Est sans doute condensé là tout le sens de la visite du président américain, ou du moins le pari que fait la Maison-Blanche face à l’étiolement attendu du castrisme tel que nous le connaissons depuis 65 ans : le pari que la fin de l’état d’enfermement dans lequel les États-Unis ont voulu tenir la revolucíon contribuera inévitablement à élargir, par avancées et reculs, l’espace de liberté et les droits démocratiques de la population. « Je suis venu enterrer les derniers vestiges de la guerre froide dans les Amériques, a claironné mardi M. Obama dans le discours qu’il a prononcé dans l’enceinte du Gran Teatro. Il ne s’agit pas d’une normalisation avec un régime, mais avec un peuple. »

Ne soyons pas naïfs pour autant. La méfiance de La Havane à l’égard de Washington demeure et demeurera profonde. Mais il reste que le rétablissement des relations bilatérales, et la levée éventuelle de l’embargo commercial, dont l’abrogation dépend du bon vouloir du Congrès américain, seront très utiles à la perpétuation de la classe dominante cubaine. Le « peuple » dont M. Obama se fait fort de hâter la libération ne se fait pas d’illusions à ce chapitre. Tourisme, communications, marché immobilier… Dans le « champ de ruines » qu’est l’économie de l’île, l’« empreinte militaire » est partout dans les secteurs qui sont payants, écrivait récemment sur Cubanet la blogueuse Miriam Celaya, qui se trouvait parmi le groupe d’opposants à avoir rencontré le président américain en début de semaine. La réciproque coule de source : le réchauffement va ouvrir aux Américains les digues du marché cubain, qui ont déjà commencé à s’ouvrir depuis l’annonce surprise de la réconciliation, en décembre 2014.

On aura compris, en fait, que la même stratégie — promotion des intérêts commerciaux sous couvert commode de défense des droits de la personne — s’est appliquée dans le rétablissement, il y a trois ans, des relations des États-Unis et des autres pays occidentaux avec le lointain Myanmar, où la caste militaire continue de tenir les leviers du pouvoir malgré la récente, et formidable, victoire électorale de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi.

Aussi, les républicains sont bien mal venus de critiquer le président Obama pour avoir rétabli les ponts avec le régime castriste, au prétexte que son administration n’en a pas suffisamment exigé en matière de libéralisation politique. C’est faire bien vite comme si n’avaient jamais été vécues ces longues années pendant lesquelles d’anciens présidents républicains ont apporté leur soutien à des dictatures militaires en Amérique latine et à leur répression féroce contre l’opposition de gauche. On ne peut pas dire, du reste, que les États-Unis ont été par définition des agents de justice sociale et économique dans l’histoire contemporaine du monde. Pour le commun des Cubains, donc, il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Mais il est quand même permis de penser que la seule proximité géographique et culturelle de l’île avec le continent va nécessairement donner lieu à des mouvements de revendication sociale et économique qui vont devenir de plus en plus insistants.

Ou est-il dans l’ordre des choses que Cuba soit destiné à tout simplement devenir une extension de l’État de la Floride ?

La genèse de ces transformations ne fait que s’amorcer. Une genèse dont, par ailleurs, le Canada est curieusement absent. Pour ne jamais avoir rompu ses relations avec La Havane, le Canada jouit pourtant à Cuba d’une présence qui n’a d’égale que celle du Mexique. Or, Ottawa se tient en retrait de cette nouvelle dynamique, constatait récemment Mark Entwistle, ancien ambassadeur canadien à Cuba. Le Canada aurait manifestement intérêt à s’activer. Pour Justin Trudeau, il y aura une vie après Barack Obama.

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