Ted Cruz: Revenge of the Texas Ranger

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Ted Cruz, la revanche du Texas rageur

Détesté par à peu près tout le monde, le sénateur ultraréac représente contre toute attente le seul recours des dirigeants républicains face à Donald Trump.

Ted Cruz n’en fait pas mystère : il déteste «les valeurs new-yorkaises». Pour cet ultraconservateur religieux, farouche opposant au mariage gay et à l’avortement, New York incarne la décadence morale des Etats-Unis. Avec un tel message, difficile pour le sénateur du Texas d’espérer briller lors de la primaire de mardi. Les sondages lui promettent d’ailleurs une déroute face à Donald Trump.

Abhorré, Ted Cruz l’est aussi à Washington. Au Congrès, où républicains et démocrates ne sont d’accord sur rien, le sénateur de 45 ans fait l’unanimité contre lui. Et l’antipathie qu’il inspire dépasse largement les couloirs du Capitole. Partout où il passe, l’arrogant et ambitieux Ted Cruz semble laisser beaucoup de mauvais souvenirs. Et très peu d’amis.

Anciens camarades de lycée et d’université, ex-collègues et supérieurs : ceux qui l’ont côtoyé décrivent un homme «rigide», «belliqueux», «condescendant». Un homme à qui, pour rien au monde, ils ne confieraient la Maison Blanche. «Je préférerais encore choisir quelqu’un au hasard dans l’annuaire», déclarait en 2013 au Daily Beast son colocataire en première année de fac, brossant un «être humain cauchemardesque». Mal-aimé, Cruz incarne pourtant aujourd’hui le seul espoir du parti républicain pour faire barrage à Trump.

«Trou du cul»

Né en 1970 au Canada, d’une mère américaine et d’un père cubain ayant fui la dictature de Batista, Rafael Edward «Ted» Cruz débarque au Texas à 4 ans. Elève prodige, il se passionne dès l’adolescence pour la pensée économique ultralibérale et la Constitution américaine, qu’il étudie deux fois par semaine au sein d’un institut conservateur. Ted Cruz y développe sa vision politique – un gouvernement fédéral minimaliste – et ses talents d’orateur. Diplômé de Princeton, il fait ensuite son droit à Harvard, où son professeur de droit pénal, Alan Dershowitz, se souvient d’un élève brillant, ardent défenseur de la peine de mort.

Jeune avocat, Cruz travaille auprès du président de la Cour suprême puis pour un cabinet de Washington, où il défend notamment la NRA, le puissant lobby des armes, l’une de ses grandes causes. En 1999, il rejoint l’équipe de campagne de George W. Bush. Chargé des questions juridiques, il se retrouve en première ligne lors du recomptage des voix en Floride. La victoire de Bush aurait dû lui ouvrir les portes de l’administration américaine, mais sa personnalité rebute. « Ted se croyait expert en tout. […] C’était un gros trou du cul incapable de travailler en équipe», confiait récemment – sous couvert d’anonymat – un proche conseiller de l’ex-président au site Mother Jones.

Bible

Après dix ans au poste d’avocat général du Texas, c’est en 2012 qu’il bascule vers la vie politique. Porté par la vague du Tea Party, il entre au Sénat. Idéologue intraitable, hostile à tout compromis, il fait de l’abrogation d’Obamacare, la réforme de la santé du Président, son principal combat. Refusant de voter le budget fédéral, il est l’un des principaux artisans du «shutdown», la fermeture temporaire des administrations fédérales en octobre 2013. Cet épisode lui vaut la détestation de la plupart de ses collègues mais l’admiration de la frange la plus dure de l’électorat républicain, qui brûle déjà de colère contre l’élite du parti.

Conservateur biberonné à la Bible et à la Constitution, Ted Cruz joue à la perfection la carte de l’antisystème. Longtemps à la traîne dans les sondages, il fait le dos rond à l’automne, évitant toute confrontation directe avec Donald Trump. Le 1er février, à la surprise générale, il remporte l’Iowa, première primaire au calendrier. Depuis, les candidats de l’establishment – Jeb Bush et Marco Rubio en tête – ont abandonné, ouvrant la voie à un duel déroutant entre Cruz et Trump. Pour beaucoup d’élus républicains, cela revient à choisir entre la peste et le choléra. «Entre mourir d’un coup de feu ou empoisonné», résumait en janvier Lindsey Graham. Depuis, le sénateur modéré de Caroline du Sud a avalé son chapeau. Comme une trentaine d’élus au Congrès, il soutient désormais Cruz.

Avec près de 200 délégués de retard sur Trump, le seul espoir de Ted Cruz de remporter l’investiture réside dans la tenue, mi-juillet à Cleveland (Ohio), d’une convention républicaine dite «contestée». Ce sera le cas si Donald Trump ne remporte pas d’ici là la majorité absolue de 1237 délégués. Habile, Cruz anticipe un tel scénario depuis plusieurs mois et multiplie les succès dans l’élection des délégués. A sept mois de la présidentielle, le sénateur du Texas croit fermement en ses chances. Il y croit d’ailleurs depuis près de trente ans.

Dans une courte autobiographie datant de ses années lycée, le jeune Ted dévoilait ses ambitions dévorantes : aller à Princeton, étudier le droit à Harvard, devenir avocat, élu puis conquérir, enfin, la Maison Blanche. Il ne lui reste qu’une marche à gravir. Et contre toute attente, il devrait pouvoir compter sur le soutien d’un parti qui le déteste profondément. Mais un peu moins que Donald Trump.

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