The Stolen Election

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À 10 jours de l’élection, les Américains voient arriver le 8 novembre avec fébrilité et inquiétude, tant en raison de l’issue des élections que de l’atmosphère aux abords des bureaux de vote. En effet, alors que le vote par anticipation est en cours sur les deux tiers du territoire américain, le climat est tendu, entretenu tant par l’affaire des courriels d’Hillary Clinton, qui ne finit pas de rebondir, que par Donald Trump, qui ne cesse de clamer que l’élection lui sera volée : près de la moitié de ses supporteurs et le tiers des électeurs y croient, minant par avance la légitimité du (de la) futur(e) président(e). Pourtant, les études scientifiques nuancent ce portrait. État des lieux d’une démocratie américaine tout à la fois imparfaite et fonctionnelle.

Le 4 octobre dernier, la police d’État de l’Indiana, munie d’un mandat de perquisition, investit le bureau de l’Indiana Voter Registration Project, dont l’objectif est de faciliter l’inscription sur les listes électorales des Afro-Américains : l’argument invoqué est une fraude électorale de grande ampleur dont les bases ne sont pourtant pas claires. Hier, deux femmes sont arrêtées dans le comté de Miami-Dade (Floride) pour avoir altéré des bulletins et des fiches d’inscription électorales.

C’est ce climat, entretenu par les déclarations de Trump, qui explique qu’une organisation radicale comme Oath Keepers, dont les membres se sont déployés à Ferguson pour « maintenir l’ordre » (entendre : en lieu et place des autorités) s’estime fondée à infiltrer les files d’attente aux bureaux de vote. Leur « Operation Sabot 2016 » n’est que l’une des initiatives prises par ces groupes conspirationnistes, persuadés que l’élection pourrait être « volée au peuple américain ».

Le phrasé même d’un des opérateurs de la campagne de Trump, établissant une stratégie pour « réduire » le vote (sic) en ciblant les blocs électoraux prodémocrates, abonde dans ce sens. Même s’il ne s’agit là que de méthodes de publicité négative, toute coordination entre la campagne de Trump, le Parti républicain et des opérations de patrouille autour des bureaux de vote pourrait placer le GOP dans une position délicate.

En effet, depuis 1982, à la suite de manoeuvres d’intimidation utilisées par des opérateurs républicains au New Jersey, les activités républicaines aux abords des bureaux de vote sont restreintes. Ces restrictions, qui doivent être levées en décembre prochain, pourraient être prorogées de cinq ans s’il était prouvé que le GOP a récidivé — ce que le Parti démocrate affirme.

Comme l’expliquent depuis longtemps deux professeurs de droit, Levitt et Hasen, le problème est plus le fait de guerres du vote partisanes, à l’instar des guerres culturelles, menées par les partis. Alors que les législateurs républicains majoritaires dans les États fédérés ont multiplié les charcutages électoraux (le fameux gerrymandering : le 12e district congressionnel de la Caroline du Nord a été redessiné cinq fois depuis 1993) et les lois précisant l’identification des électeurs, leurs adversaires démocrates invoquent les droits civiques.

Les recherches de Levitt ne recensent que 31 cas de fraude électorale liée à l’identité de l’électeur sur un milliard de votes entre 2000 et 2014. De surcroît, toutes les études universitaires montrent que les irrégularités électorales n’ont jamais, au XXe siècle, inversé l’issue du vote. Même en 1960, alors que Nixon était convaincu que Kennedy lui avait ravi la Maison-Blanche et tandis que la marge de victoire était mince, les anomalies électorales ne permettent pas de trancher. Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas des problèmes inhérents au système de votation. Selon le Brennan Center for Justice, 10 % des électeurs potentiels n’ont pas de pièce d’identité gouvernementale avec photo et rencontrent des difficultés lorsqu’ils se présentent pour voter.

Dans 14 États, les électeurs feront face à de nouvelles restrictions, qu’il s’agisse de la réduction des heures de vote par anticipation ou de processus d’identification plus complexes. Au Texas, en Caroline du Nord et au Wisconsin, les tribunaux ont invalidé ces restrictions, mais les scrutateurs n’en ont pas toujours été informés.

Ainsi, le système politique américain est un mécanisme hybride alliant décentralisation et suffrage universel indirect. Ce qui est un atout peut aussi être un grand défaut. L’inconvénient de la décentralisation est que le système reste inconstant et parfois incohérent.

C’est également ce qui explique la disparité des processus de votation, l’obsolescence de certaines machines de vote ou encore la piètre qualité des bulletins, faute de financement. Pour autant, avec 14 000 administrateurs électoraux, il est pratiquement impossible de s’assurer qu’une élection va basculer en faveur de l’un ou l’autre des candidats.

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