Usurpation

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Usurpation

Tout inquiets qu’ils soient devant le comportement fantasque et dangereux de Donald Trump depuis son installation à la Maison-Blanche, les élus du Parti républicain sont parfaitement sur la même longueur d’onde que le président en ce qui concerne son choix, annoncé mardi soir, du conservateur bon teint Neil Gorsuch pour remplacer à la Cour suprême feu le juge Antonin Scalia.

N’avaient-ils pas, après tout, préparé le terrain à l’improbable éventualité — aujourd’hui tragiquement avérée — qu’Hillary Clinton ne soit pas élue présidente ? Le fait est que les souliers que le juge Gorsuch espère chausser auraient dû l’être l’année dernière par un homme autrement plus modéré, Merrick Garland, juge en chef à la Cour d’appel du district de Colombia, que M. Obama avait choisi pour succéder au juge Scalia. Sauf que, sitôt ce dernier décédé, en février 2016, le Sénat à majorité républicaine refusait d’amorcer le processus de confirmation du juge Garland, au prétexte abusif que le pays était à l’orée d’une élection présidentielle. Prétexte par lequel, au nom de l’intégrité de cette institution capitale, les républicains cherchaient en réalité à empêcher par tous les moyens le président Obama de remplacer par une voix plus progressiste celle du conservateur Scalia.

Mission accomplie. Tenant d’une lecture littérale de la Constitution, Neil Gorsuch, qui n’est pas par ailleurs l’incompétent qu’est M. Trump, marchera sur les traces d’Antonin Scalia, fossoyeur, entre autres choses, des dispositions antidiscriminatoires du Voting Rights Act de 1965. Nommé à la Cour d’appel de Denver par l’ex-président Bush en 2006, M. Gorsuch est pour l’essentiel un homme qui a défendu des positions hostiles à la protection de l’environnement et aux droits des femmes et des travailleurs.

Sa nomination, qui devrait être confirmée malgré l’obstruction que promettent d’opposer les démocrates, n’altère pas dans l’immédiat l’équilibre des tendances à la Cour suprême. Mais que le modéré Anthony Kennedy, qui a 80 ans, prenne bientôt sa retraite, comme on le prédit, et M. Trump pourra alors carrément tirer la Cour suprême à droite.

Il se trouve qu’à brève échéance, M. Gorsuch pourrait être appelé, comme par hasard, à se prononcer sur des causes de nature électorale — aux enjeux démocratiques majeurs — portant sur la décision d’États comme le Texas et la Caroline du Nord d’adopter des lois qui, rendant plus difficile l’exercice du droit de vote, nuisent spécifiquement aux minorités noire et hispanique. Situation tout de même embêtante pour ce nouveau juge, comme le président qui l’a nommé répète mensongèrement que trois millions de personnes ont voté illégalement le 8 novembre dernier… Ainsi va la démocratie américaine.

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