The Worrying Rise of the Mortality Rate in the United States

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L’inquiétante augmentation de la mortalité aux Etats-Unis

François Bourguignon / Professeur à Paris School of Economics.

LE CERCLE/LE COMMENTAIRE – Depuis le tournant du millénaire, l’espérance de vie se dégrade aux Etats-Unis. Un phénomène que l’on observe notamment chez les hommes blancs peu diplômés. Les raisons d’une dérive.

Parmi les pays développés, les Etats-Unis se singularisent par un phénomène surprenant : une hausse de la mortalité à des âges intermédiaires depuis le tournant du millénaire, hausse suffisamment importante pour affecter négativement l’espérance de vie. Dans la mesure où les Etats-Unis se singularisent également par un niveau élevé et en progression continue de l’inégalité des revenus, il est tentant de rapprocher ces deux évolutions et de voir dans la hausse de la mortalité une conséquence inattendue et dramatique du regain d’inégalité. Plusieurs analystes ont fait ce rapprochement.

Un article récent de Case et Deaton, qui avaient eux-mêmes mis à jour cette augmentation récente de la mortalité, suggère que la relation est plus complexe qu’il n’y paraît mais reste tout aussi inquiétante quant à l’évolution des sociétés post-industrielles. Selon eux, ce n’est pas l’inégalité croissante des revenus mesurée en chaque point du temps qui est cause de la hausse de la mortalité, mais plus probablement une modification de la distribution des perspectives professionnelles et sociales d’une génération à une autre, elle-même possiblement le résultat de la mondialisation et du changement technique.

Mort par désespoir

Leur argumentation repose sur trois points principaux. Le premier est que la hausse de la mortalité ne concerne que la population blanche dont l’éducation ne dépasse pas le secondaire. A tout âge, la mortalité poursuit sa diminution séculaire pour les populations afro-américaines et hispaniques et pour les personnes disposant d’un niveau supérieur d’éducation. Il ne s’agit donc pas d’un effet direct de revenu puisque les Noirs et les Hispaniques ont connu les mêmes chocs économiques que les Blancs moins éduqués.

Deuxième élément, la hausse de la mortalité chez ces derniers se doit principalement à une augmentation des décès qualifiés de « mort par désespoir », c’est-à-dire les suicides, les décès dus à l’alcoolisme ou la prise de drogue, y compris ceux qui résultent de l’addiction aux opioïdes destinés à soulager les douleurs chroniques – elles-mêmes souvent d’origine dépressive. Elle est aussi due, dans une moindre mesure, à un ralentissement dans la même population de la baisse de la mortalité pour cause cardiaque. En revanche, les autres causes de mortalité ont évolué de façon similaire à ce qui est observé dans d’autres groupes de population.

Troisième argument, la hausse de la mortalité comprend une forte composante générationnelle. A âge donné, on observe ainsi que la mortalité augmente systématiquement d’une cohorte démographique à la cohorte suivante. Autrement dit, la mortalité entre 30 et 35 ans de la cohorte née en 1980 est supérieure à celle des cohortes nées en 1970 ou 1960 au même âge, ceci étant tout aussi vrai pour les 40-45 ans nés en 1970 vis-à-vis de ceux nés en 1960, etc.

Effondrement de la classe ouvrière

Dans ce cadre intergénérationnel, l’analyse statistique révèle un facteur évolutif commun à la progression des suicides, de l’alcoolisme, de certaines affections physiques, notamment les douleurs articulaires et les sciatiques, des dépressions, de l’isolement familial, mais aussi, et surtout, au retrait du marché du travail et à la baisse des salaires non-qualifiés.

Si ce type d’analyse ne permet pas de conclure à une relation de causalité entre ces divers dysfonctionnements économiques et sociaux, elle laisse tout de même penser que le marché du travail et les chocs majeurs auxquels il a été soumis au cours des dernières décennies (mondialisation, changement technique) ont pu jouer un rôle moteur. Au total, Case et Deaton voient cet ensemble de phénomènes comme l’expression de l’effondrement au début des années 1970 de la classe ouvrière américaine, alors à son apogée.

Ils ont probablement raison et l’on ne peut s’empêcher de rapprocher cette conclusion du populisme de Donald Trump clamant sa volonté de rapatrier l’industrie américaine et ses « jobs » disparus. Il a réussi à convaincre une large part de la classe ouvrière par ce discours. Mais, bien sûr, ces jobs ne reviendront pas.

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