Trump Pushes Democrats to the Left

 

 

<--

“Trump encourage les démocrates à se gauchiser”

Propos recueillis par Alexis Lacroix,

publié le 21/11/2018 à 15:00

Le géopolitologue Dominique Moïsi décrypte les interrogations stratégiques des démocrates face à Trump.

Les progressistes américains cherchent à incarner une opposition crédible à Donald Trump pour la présidentielle de 2020. Mais ils se divisent sur les stratégies. Dominique Moïsi, spécialiste des relations internationales et conseiller spécial à l’Institut Montaigne, auteur de nombreux essais, dont La Géopolitique des séries (Stock), analyse les débats internes à la famille démocrate.

L’EXPRESS. Il est de plus en plus question à Washington et à New York du réveil de la pensée de gauche, face au trumpisme. Mirage ou réalité ?

Dominique Moïsi : Ce réveil est incontestable, mais il coexiste avec un approfondissement du champ de tension entre une gauche campant sur des positions assez radicales et une gauche plus compatible avec l’économie de marché. Par maints aspects, Donald Trump semble conscient de ce clivage des progressistes et on peut réellement se demander si nombre de ses actions ne sont pas une tentative d’encourager un déplacement du centre de gravité du parti démocrate vers la gauche. Il a en tête 2020, l’année où il va essayer de se faire réélire.

Ah oui, vous pensez sérieusement qu’il joue la gauchisation des démocrates ?

Mais oui, bien sûr, car celle-ci irait dans le sens de ses intérêts, en rendant l’alternative politique au trumpisme peu ou prou prisonnière de la radicalité ; si les positions dures se multiplient dans l’espace politique de la gauche américaine, cela la rendra de facto plus difficilement éligible, car les présidentielles se jouent au centre, également aux Etats-Unis ! Une gauche de gauche est le meilleur service que les démocrates puissent rendre à Trump. Il y a de multiples précédents historiques de ces encouragements intéressés du camp adverse à la radicalité.

Vous pensez à qui ?

Ne serait-ce qu’à François Mitterrand ! Et à sa maestria dans ce domaine. Le développement, à la droite de la droite, du Front national, qu’il a favorisé, a posé un problème durable à l’opposition au socialisme, assurant à Mitterrand sa réélection en 1988.

Justement, revenons aux Etats-Unis. La gauche américaine tombe-t-elle massivement dans le piège que lui tend Trump ?

Tout à fait ! Et c’était le cas, déjà, lors des primaires de 2016, avec les voix de Bernie Sanders qui ne se sont pas bien reportées et ont gravement manqué à Hillary Clinton.

Existe-t-il, aujourd’hui, parmi les démocrates, un profil apte à réunir centristes et radicaux ?

Rien n’est, hélas, moins sûr. Certains me semblent faire le pari inverse. Celui de la désertion pure et simple du parti démocrate, avec la perspective de créer, au centre, un nouveau ticket transpartisan, fédérant centre gauche et centre droit.

C’est du macronisme version US !

Absolument ! La gauche américaine modérée regarde en direction de ce “dépassement” centriste. Un homme, actuellement, incarne d’ailleurs cette aspiration, c’est l’ancien maire de New York Michael Bloomberg. Il hésite, néanmoins, sur la stratégie, en raison des dérives symétriques des démocrates et des républicains. Et il se demande s’il est judicieux de créer un troisième grand parti au centre, à l’instar du modèle d’En marche. Il se demande aussi s’il ne peut pas être préférable pour lui de se battre pour conquérir le Parti démocrate en misant sur le réalisme qui pourrait s’imposer en son sein s’il apparaît que la seule chance de battre Trump réside dans une ligne modérée. Quant aux démocrates classiques, ils songent beaucoup en ce moment à un “ticket” entre Joe Biden et une femme noire plus jeune, tandis que l’ex-patron de JP Morgan laisse également filtrer ses ambitions politiques, quoiqu’il incarne sans doute trop pour la gauche l’esprit du capitalisme.

Un paysage idéologique très composite, et en pleine évolution…

Oui , mais hélas, pour l’heure, malgré ce fourmillement d’initiatives et de scénarios, la réélection de Donald Trump demeure néanmoins le scénario le plus probable. Trump, d’ailleurs, est sans doute bien autre chose qu’un simple accident de l’histoire américaine.

C’est-à-dire ? Il est porté par l’isolationnisme ?

Et par un refus croissant du multilatéralisme qui a précédé de plusieurs années son élection. L’Amérique est entrée, avant lui, dans un nouveau moment “jacksonien” (1) qu’il déploie et intensifie. En clair : Trump réalise un nouveau divorce de l’Amérique avec le reste du monde. La seule véritable alternative politique pourrait surgir d’un macronisme à l’américaine.

(1) En référence à Andrew Jackson, septième président des Etats-Unis qui défendait une politique étrangère isolationniste, au début du dix-neuvième siècle. Donald Trump a fait accrocher son portrait au-dessus du Bureau ovale.

About this publication