A Risky Chinese-American Game of Poker for 2019

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OPINION. La Corée du Nord n’est qu’une carte à la disposition de Washington et Pékin pour défendre leurs intérêts, écrit Lionel Fatton de l’Université Webster. En ce début d’année 2019, les joueurs abattent leurs cartes. La partie entre dans sa phase critique

Kim Jong-un s’est donc rendu en Chine pour la quatrième fois en moins d’un an. Comme ce fut le cas lors de ses deux premières visites, en mars et mai 2018, l’objectif premier était d’obtenir le soutien de Xi Jinping afin de renforcer sa position en vue d’un probable sommet avec Donald Trump. Pour la Chine aussi, la visite du leader nord-coréen a été bénéfique: elle a clairement démontré aux Etats-Unis que s’ils désirent progresser sur le dossier nucléaire, ils devront composer avec Pékin. Alors qu’une délégation américaine se trouvait dans la capitale chinoise pour discuter des tensions commerciales, Xi Jinping a dégainé la carte nord-coréenne.

Il y a un peu plus d’un an de cela, j’affirmais dans ces mêmes pages que le casse-tête nord-coréen n’était que le symptôme de la rivalité entre les Etats-Unis et la Chine, et qu’en conséquence il ne pouvait être résolu que si les deux superpuissances parvenaient à régler leurs différends. La Corée du Nord n’est donc qu’une carte parmi d’autres à la disposition de Washington et Pékin pour défendre leurs intérêts. En ce début d’année 2019, les joueurs abattent leurs cartes. La partie entre dans sa phase critique.

La Chine relativement démunie

Mais tout d’abord l’enjeu. C’est la position future des deux pays sur l’échiquier mondial, les Etats-Unis étant décidés à conserver leur quasi-hégémonie contre les velléités révisionnistes chinoises. La guerre commerciale lancée par Donald Trump début 2018 est au centre de ce bras de fer. En imposant des tarifs sur 250 milliards de dollars d’importations chinoises, Washington cherche non seulement à ralentir la croissance économique de la Chine, mais aussi à la pousser à se plier à des règles qui, dans des domaines tels que la propriété intellectuelle, favorisent les Etats-Unis, le tout dans le but de maintenir sa domination sur l’économie mondiale, et donc sur le système international.

Face à l’offensive commerciale américaine, la Chine est relativement démunie. La carte nord-coréenne reste son meilleur atout car elle permet à Xi Jinping d’empêcher Donald Trump d’atteindre une victoire diplomatique cruciale en vue de la présidentielle de novembre 2020, son objectif ultime. Seule devant la puissance économique, militaire et politique des Etats-Unis, la Corée du Nord n’aurait d’autre choix que de courber l’échine. Pyongyang a besoin de la Chine, et cette dernière utilise ce levier afin d’entraver les négociations américano-coréennes puis marchander son aide en échange de concessions dans le dossier commercial.

De leurs côtés, les Etats-Unis possèdent deux cartes de choix pour faire plier la Chine. Il y a celle de la mer de Chine méridionale, dont Pékin revendique la quasi-totalité. Washington envoie régulièrement des navires de guerre croiser dans ce que la Chine affirme être ses eaux territoriales, décrédibilisant ainsi ses revendications sur la scène domestique et internationale. La plus récente de ces opérations maritimes a eu lieu le lundi 7 janvier, au premier jour des négociations commerciales entre Américains et Chinois à Pékin.

Taïwan au cœur du bras de fer

La seconde carte, Taïwan, est bien plus redoutable. Pékin considère l’île comme une province renégate depuis que les nationalistes chinois y ont trouvé refuge en 1949, et cherche à la ramener dans son giron. Mais parce que Taïwan jouit encore aujourd’hui des engagements de sécurité américains, quoique ambigus, et que sa population a développé une identité insulaire propre, une réunification est improbable à court terme. Pékin s’efforce donc d’éviter que Taipei ne déclare officiellement son indépendance, ce qui hypothéquerait ses espoirs d’arriver à ses fins à plus long terme.

Les Etats-Unis ont compris depuis longtemps que Taïwan était le talon d’Achille de la Chine, mais seul Donald Trump a utilisé cette carte avec autant de pugnacité. En décembre 2016, il est le premier président élu en près de quarante ans à avoir une conversation directe avec un leader taïwanais. Une année plus tard, il intensifie la coopération militaire avec l’île. Et en mars 2018, il promulgue une loi stimulant les échanges diplomatiques de haut niveau. Ce faisant, Donald Trump laisse entendre à la Chine qu’il pourrait être enclin à soutenir les velléités indépendantistes de Taïwan.

En 2019, les cartes américaines et chinoises s’entrechoqueront avec une intensité grandissante sur fond de rivalités commerciales. Reste à savoir si les Etats-Unis prendront le risque de jouer pleinement la carte taïwanaise, afin de neutraliser la carte nord-coréenne en mains chinoises. Si tel devait être le cas, une quatrième crise majeure dans le détroit de Taïwan, après celles de 1954-1955, 1958 et 1995-1996, est à craindre.

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