State of Disunion

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C’est un président avec du plomb dans l’aile qui s’est présenté mardi soir devant le Congrès pour se prêter pour la deuxième fois à ce rituel plutôt assommant mais ô combien sacré en démocratie américaine qu’est le discours sur l’état de l’Union.

Un président affaibli par le shutdown (le verrouillage budgétaire de la bureaucratie fédérale) qu’il a décrété en pure perte en pariant que le bras de fer forcerait les démocrates à financer son mur à la frontière du Mexique. Affaibli par les chefs du renseignement qui l’ont publiquement contredit au sujet de la résilience du groupe État islamique (EI) — que M. Trump enterre un peu vite. Par ailleurs gêné par la rebuffade que lui a servie lundi la majorité républicaine au Sénat en jugeant précipité le retrait des troupes américaines en Syrie et en Afghanistan. Et par une nouvelle mise en accusation dans le cadre de l’enquête Mueller, celle de son cynique frère d’armes Roger Stone.

Et puis, bien entendu, un président diminué dans son exercice monarchiste du pouvoir par la salutaire majorité remportée par les démocrates à la Chambre des représentants.

Des murs sont érigés autour de lui pour le contenir. Dans l’environnement politique des dernières semaines, sa position s’est précarisée au point d’entrouvrir la porte à l’idée d’une primaire républicaine qui ferait en sorte qu’il ne serait pas automatiquement candidat à un second mandat. Éventualité peu probable, cela dit : dans l’histoire électorale américaine, le parti au pouvoir s’étant lancé dans pareille aventure s’en est presque toujours mordu les pouces.

Pour autant, l’état dans lequel se trouve à l’heure actuelle M. Trump est loin d’annoncer son étiolement, nonobstant les ennuis que lui réserve l’enquête sur l’ingérence russe.

Le Sénat a beau désapprouver ses projets de retrait afghan et syrien, il reste que l’idée de rapatrier les troupes est populaire dans l’opinion publique américaine. Tout comme l’est son affrontement commercial avec la Chine.

Il n’est pas étonnant, du reste, que M. Trump ait consacré l’essentiel de son intervention de près d’une heure et demie à l’économie et à la protection de « notre frontière très dangereuse ». Que la croissance économique — dont il s’arroge sottement tout le mérite— tienne jusqu’en 2020, et cela l’aiderait sûrement à se faire réélire, sinon à museler la plupart des républicains que sa présidence fait grincer des dents. Ensuite, qu’il n’arrive pas à faire construire son mur dans son intégralité — ce à quoi il a d’ailleurs renoncé en partie —, et il lui sera toujours facile de faire commodément de tous ces horribles « socialistes » que sont les démocrates les coupables de son échec.

On voit rarement ce populiste primaire essayer de prendre de la hauteur. Qu’il s’y essaie et ça le rend pratiquement méconnaissable. Il s’y est essayé mardi soir en lançant un appel totalement surréaliste — et sans crédibilité — à l’unité nationale et au dialogue, lui qui ne sait pourtant rien faire d’autre que diviser pour régner.

Macho notoire, il a plus tard eu, contre toute attente, la lucidité élémentaire de saluer l’élection d’un nombre record de femmes au Congrès, un geste que les nouvelles élues démocrates, toutes vêtues de blanc, ont relevé non sans ironie en sautant sur leurs pieds. L’image valait mille mots.

En fait, c’est certainement ce que le rituel pesant du discours sur l’état de l’Union a produit de plus inspirant : face à Trump et au conservatisme intolérant de ses partisans, cette nouvelle génération féministe, signe tangible de rénovation progressiste, et du Parti démocrate et de la vie politique américaine.

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