Mueller, Aloof

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Mueller sur son quant-à-soi

Les démocrates espéraient que les Américains qui n’ont pas lu le rapport Mueller, et ils sont nombreux, iraient « voir le film ». L’une des principales questions était de savoir si le film du témoignage de l’ex-procureur spécial Robert Mueller, mercredi devant le Congrès, allait apporter de l’eau au moulin de ceux qui voudraient voir des procédures en destitution lancées contre Donald Trump. À vue de nez, pas du tout, encore que le scandale de l’interférence russe dans la présidentielle de 2016 demeure, en matière de résonances politiques, un puzzle incomplet.

On savait déjà que M. Mueller, ancien directeur du FBI, serait un témoin récalcitrant. « Le rapport est mon témoignage », avait-il indiqué fin mai, peu enclin à s’exposer aux caméras. Il aura plus tard fallu que les démocrates lui fassent parvenir deux assignations à comparaître avant qu’il n’accepte de se présenter. Au terme de négociations serrées, il a accepté de témoigner devant la commission des affaires judiciaires et la commission du renseignement de la Chambre des représentants. Son rapport sur l’ingérence russe et les soupçons d’entrave à la justice pesant sur Trump faisait 448 pages ; son témoignage en deux temps a fait, mercredi, presque sept heures.

Résultat : un procureur spécial sur son quant-à-soi qui a refusé de se laisser entraîner par les démocrates dans le débat sur l’« impeachment ». Ce qui était beaucoup demandé.

M. Mueller, par contre, a fait savoir fort clairement que son rapport ne disculpait pas M. Trump des soupçons d’avoir cherché à entraver son enquête, contredisant ainsi le président lui-même et son ministre de la Justice, William Barr. Ce dont les démocrates allaient certainement faire leurs choux gras, faute de mieux. Reste que M. Mueller n’a fait au fond que redire publiquement ce qui est écrit dans son rapport. À savoir que ce dernier « ne conclut pas que le président s’est rendu coupable d’un délit, mais ne le disculpe pas non plus » et que « si nous avions eu la certitude que le président n’avait manifestement pas commis de crime, nous l’aurions dit ».

Pour le reste, ce témoin récalcitrant s’est montré par moments fort hésitant, pour ne pas dire ennuyé d’être là. Il a plusieurs fois fait répéter les questions qu’on lui posait, affirmant souvent qu’« elles ne relèvent pas de mes compétences », renvoyant ici son interlocuteur au contenu du rapport, s’arrêtant là à mi-phrase dans ses réponses (CNN a calculé qu’il n’avait pas répondu à 206 questions). Ce qui fait que cette audition, comme cela se produit régulièrement au Congrès, aura surtout été le théâtre de la guerre d’influence partisane que se livrent démocrates et républicains auprès d’un électorat américain que l’on sait très divisé. Un exercice où, par moments, M. Mueller était moins acteur que spectateur.

Alors, à quoi tout cela sert-il ? Le simple fait que M. Mueller, au terme de deux ans d’enquête, soit allé témoigner devant le Congrès est important en ce que son témoignage participait d’une exigence élémentaire de transparence démocratique. On ne peut pas en dire autant de la Maison-Blanche qui, tout en affirmant n’avoir rien à se reprocher, fait tout en son pouvoir pour mettre des bâtons dans les roues des enquêtes ouvertes par la majorité démocrate à la Chambre des représentants.

On imagine cependant assez facilement que la profusion de noms, de détails et d’événements étalés mercredi en commission par cette faune d’élus washingtonienne aura fait perdre son latin au commun des auditeurs — et même à de plus spécialisés. Mais il aura suffi pour rallier leur base que les républicains mettent en avant leurs théories conspirationnistes et accusent M. Mueller d’impartialité prodémocrate — alors qu’il a servi depuis Ronald Reagan sous trois présidents républicains. Il aura suffi que la représentante Debbie Lesko déclare qu’une grande partie du volume 2 du rapport Mueller était faite « d’articles régurgités du New York Times et du Washington Post », mais jamais de Fox News…

Il est entendu que les intérêts des démocrates ont été mal servis par ce témoignage. Reste qu’ils ont raison de continuer — « conspiration criminelle » ou pas — d’enfoncer le clou de « l’intervention massive russe » telle que documentée par le rapport, faisant d’ailleurs dire en fin de journée à un Robert Mueller manifestement inquiet que l’intrusion étrangère et illégale — nommément russe — dans la vie politique américaine risquait de « devenir la norme ». Le non-événement que fut le témoignage de M. Mueller sera sans doute vite oublié, mais il ne faudrait pas que son avertissement le soit.

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