USA: Eyes on the Prize

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États-Unis: les yeux sur la puck

Alors que le Parti démocrate se cherche encore un premier trio, le président, lui, a déjà les yeux sur la rondelle. Depuis le 20 janvier 2017, en fait, lorsque, juste après son investiture, il a enregistré sa campagne de réélection auprès de la Federal Election Commission.

À juste titre. Ni les gaffes qui ont froissé des alliés de longue date (la dernière bourde sur l’invasion de la Pologne en atteste), ni les mensonges (plus de 12 000, selon le recensement du Washington Post), ni les signes de négligence sinon d’incompétence (en témoignent la diffusion classée secret défense d’une photo d’un site iranien et, ce faisant, la divulgation des capacités satellitaires militaires américaines… secrètes) ne semblent avoir ébranlé le socle électoral du président.

Dans 17 États, au cours de la dernière année, selon la firme Gallup, Trump a maintenu un taux d’approbation égal ou supérieur à 50 %, et il dispose d’un taux d’approbation supérieur à 40 % dans les États qui lui ont donné les clés de l’élection (Michigan, Pennsylvanie, Wisconsin), dans les États populeux qu’il a remportés (Texas, Géorgie, Louisiane), ou encore dans ceux qu’il a gagnés et qui sont traditionnellement des États violets, incertains, qui peuvent pencher d’un côté ou de l’autre (Floride, Ohio, Caroline du Nord, Arizona, Iowa).

Dans certains d’entre eux, il y a d’ailleurs déjà tenu plusieurs rassemblements à saveur électorale. Et son obsession de l’Alabama dans le fameux #Sharpiegate, lié à la trajectoire contestée de l’ouragan Dorian, peut être lue à l’aune du fait que son taux d’approbation dans cet État est supérieur à 60 % depuis son élection. Le président n’a jamais vraiment délaissé le terrain de la campagne électorale, parce que ce reality show est au fond l’aréna qu’il préfère.

Mais la glace pourrait graduellement s’amincir au cours de l’automne. En effet, les droits tarifaires adoptés par l’Administration à l’égard des produits chinois coûteront cher aux ménages américains — jusqu’à 1000 $ par ménage, selon une estimation jugée conservatrice de JP Morgan. Les consommateurs américains paient le prix de la guerre commerciale, comme le confirme l’étude réalisée par Amiti, Redding et Weinstein et publiée par le Center for Economic Policy Research cette année, qui évalue la contraction du revenu réel américain à 1,4 million de dollars par mois.

Le secteur agricole est également durement touché par cette guerre commerciale, conjuguée avec des décisions fédérales comme la réduction de la place de l’éthanol pour l’EPA : les conséquences sont économiques (le nombre de faillites augmentant considérablement), mais aussi humaines (avec la hausse rapide du taux de suicide). Chez les mineurs de charbon, soutien traditionnel du président, le bénéfice est du côté des propriétaires de mines, car les travailleurs sont directement touchés par la multiplication des fermetures liées à la concurrence du gaz naturel et des énergies renouvelables. Alors que la solvabilité des régimes de retraite des mineurs est au bord du gouffre, Trump est demeuré silencieux et n’a fait aucune pression sur le Congrès pour pousser l’adoption de la Loi sur la protection de la retraite des mineurs, leur seule planche de salut.

Or ces données sont cruciales en année électorale, tandis que l’enquête du Pew Research Center place l’économie au sommet de la liste des priorités des Américains pour 2019, devant l’éducation et les coûts de santé. « It’s the economy stupid », slogan phare de l’ère clintonienne, pourrait donc très vite redevenir à la mode.

Il importe donc, pour le président sortant, de trouver le moyen de montrer que, malgré tout, il peut « livrer la marchandise ». Alors que l’on sait aujourd’hui que la Corée du Nord a en fait renforcé ses capacités nucléaires, que le deal du siècle au Moyen-Orient n’en sera peut-être pas un, que la Chine n’a pas plié, que les alliés, loin d’être impressionnés par le rapport de force établi par la présidence, cherchent des solutions hors de la Pax americana, que la dette publique augmente, de même que le déficit commercial, le président doit pouvoir montrer au cours des 12 prochains mois que son slogan de campagne, « Promises made, promises kept » (Promesses formulées, promesses tenues), n’est pas totalement creux.

Il ne lui reste donc qu’un objet tangible, visible, aisément vendable en contexte électoral, un projet pharaonique qu’ont scandé les foules en 2016, qui joue aisément sur une corde sensible de l’électorat (l’immigration), même si, on le sait, ce sont les contribuables américains (et non le Mexique — une autre promesse) qui devront payer le mur.

Le président candidat ne cesse apparemment de le marteler dans l’enceinte de la Maison-Blanche : le mur doit être construit pour 2020. Or, après deux ans et demi au pouvoir, il ne l’a toujours pas construit, ce « beau grand mur » : le US Army Corps of Engineers n’a fait que rénover 96 kilomètres d’infrastructures frontalières déjà existantes. Même les prototypes construits en fanfare à la frontière californienne ont été démantelés.

D’où la soudaine accélération de la mise en oeuvre des projets de construction, en Arizona, au Texas. D’où l’usage très large du procédé dérogatoire (waiver) qui permet au gouvernement de contourner ses propres lois pour ériger ce mur, au point de faire de l’espace frontalier un espace de quasi-non-droit. D’où le fait qu’il ait même promis de gracier les fonctionnaires qui enfreindraient la loi pour en accélérer la construction. D’où la décision, pour contourner le Congrès, de siphonner 3,6 milliards du budget de la Défense dans des fonds destinés à la rénovation de baraquements touchés par la moisissure, par les ouragans (dont à Porto Rico), à la construction d’infrastructures portuaires ou d’un centre de cybersécurité, arguant du fait que la sécurité frontalière doit prévaloir.

C’est ce qu’il faut garder en tête : dans les 12 prochains mois, la fin justifiera les moyens. Il reste désormais 422 jours avant l’élection, et le jeu de puissance demeure du côté de la Maison-Blanche.

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