Taming the Digital Giants

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Domestiquer les géants du numérique

Editorial. L’ouverture, le 9 septembre, aux Etats-Unis, d’une enquête antitrust contre Google montre que la justice américaine a enfin décidé, sous la pression de l’opinion publique, de questionner les monopoles des GAFA.

Casser un monopole est un combat de longue haleine. Pour arriver à bout de celui de la Standard Oil, la justice et l’administration américaine avaient dû batailler près de trois décennies avant qu’une décision de la Cour suprême de 1911 impose le démantèlement de la compagnie pétrolière fondée par John Rockefeller.

L’ouverture, le 9 septembre, d’une enquête antitrust contre Google par les procureurs de 48 Etats fédérés ainsi que ceux de Washington DC et de Porto Rico, n’est que la première étape d’un processus qui s’annonce tout aussi fastidieux et difficile. Mais, sans préjuger du résultat, cette démarche bipartisane montre que l’état d’esprit vis-à-vis des géants de l’économie numérique a définitivement changé outre-Atlantique.

Trois jours auparavant, une offensive similaire était lancée contre Facebook. Après plusieurs décennies de laisser-faire, qui ont permis aux Etats-Unis d’acquérir une suprématie mondiale dans l’Internet – à l’exception de la Chine –, la justice américaine, sous la pression grandissante de l’opinion publique, a enfin décidé de questionner cette concentration, qui perturbe le bon fonctionnement de l’économie et de la démocratie. « Nous avons des preuves que les pratiques de Google ont pu diminuer le choix des consommateurs, étouffé l’innovation, violé la vie privée des utilisateurs et lui ont permis de contrôler le flux et la diffusion des informations en ligne », accuse Ken Paxton, le procureur du Texas, qui mène la procédure.

L’Europe, la première à réagir

L’initiative est tardive, mais elle est primordiale. Google équipe avec Apple la quasi-totalité des téléphones portables, truste 90 % des recherches sur Internet, s’accapare avec Facebook les deux tiers des publicités en ligne.

L’Europe a été la première à réagir, en infligeant de lourdes amendes et en forçant ces entreprises à modifier leurs pratiques, s’attirant ainsi les critiques acerbes des partisans du libre marché. Faute de faire émerger ses propres champions, le Vieux Continent était accusé d’élever des herses réglementaires pour pallier son manque d’innovation. Mais le libéralisme économique n’a jamais consisté à laisser prospérer les monopoles. Une fois n’est pas coutume, l’Europe a montré la voie. L’élargissement au sein de la nouvelle Commission européenne du périmètre de Margrethe Vestager, qui cumulera la politique de la concurrence et le numérique, montre que Bruxelles ne compte pas s’arrêter en si bon chemin.

Toutefois, les amendes ou les taxes n’auront que peu d’effets sur des entreprises dont les coffres débordent. L’intervention des autorités américaines est indispensable pour véritablement remettre en cause le fait que ces entreprises utilisent leur position dominante pour verrouiller l’écosystème numérique.

Pour les Etats, l’enjeu consiste à recouvrer leur pleine souveraineté. Pour les consommateurs, il s’agit d’en finir avec ce mirage de la gratuité du Net, alors que les monopoles conduiront inéluctablement au renchérissement des biens et des services, tout en foulant au pied la vie privée. Pour les concurrents, il est question de casser la rente que se sont constituée ces sociétés, qui leur permettent d’avoir un droit de vie et de mort sur ceux qui tentent d’entrer en compétition, bridant ainsi toute innovation.

Alors que le déploiement de la 5G, le nouveau standard de la télécommunication mobile, va rendre Internet encore plus incontournable dans nos vies quotidiennes, il n’a jamais été aussi urgent de domestiquer les géants du Web en endiguant leur omnipotence avant qu’il ne soit trop tard.

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