The US Foreign Policy Drift

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La dérive de la politique étrangère des États-Unis

Coup de théâtre : le président des États-Unis a suspendu le versement de 391 millions de dollars en aide militaire à l’Ukraine avant de demander une faveur à son chef d’État durant une conversation téléphonique le 25 juillet dernier. Quelle était cette faveur ? Donald Trump a sollicité l’aide de Volodymyr Zelensky pour enquêter sur Joe Biden, l’ancien vice-président et meneur dans la course à l’investiture du Parti démocrate. Le président américain a même suggéré à Zelensky d’entrer en contact directement avec Rudolph Giuliani, son avocat personnel, qui poursuit une véritable cabale contre Biden avec l’assentiment de l’occupant de la Maison-Blanche.

Et comme si ce n’était pas assez, un lanceur d’alerte de la communauté du renseignement a dévoilé une tentative de camouflage du contenu de cette conversation par des avocats du Conseil de sécurité nationale, qui ont recommandé de l’archiver sur un système informatique réservé à l’information confidentielle.

La politique étrangère américaine est officiellement à la dérive et Donald Trump, aidé par son fidèle bras droit Rudy Giuliani, chercherait à profiter de ses fonctions pour servir son seul intérêt politique. Est-ce une surprise ? Pas vraiment… Il existait d’excellentes raisons de sonner l’alarme bien avant que les détails de l’affaire ukrainienne soient révélés au grand jour. La gestion de la politique étrangère par la Maison-Blanche est compromise depuis un bon moment. Et les conséquences de cette dérive pourraient être catastrophiques tant pour l’avenir de cette présidence que pour les États-Unis.

« Je prends toutes les décisions »

Dès son entrée en fonction au printemps 2018, l’ancien conseiller pour la sécurité nationale John Bolton a démantelé morceau par morceau les processus et structures formels de formulation des politiques du gouvernement Trump. Le nombre de réunions du comité des principaux conseillers en matière de sécurité nationale a fondu comme neige au soleil et l’évaluation exhaustive des options élaborées par les départements et agences de sécurité nationale a été abandonnée au profit d’une culture de méfiance envers l’expertise.

Trump s’est-il insurgé devant ces changements ? Non, il s’est plutôt réjoui de ne plus avoir à subir de longues séances d’information et de délibérations comme celles que lui imposait H. R. McMaster, le prédécesseur de Bolton. Armé d’une confiance inébranlable en son jugement, Donald Trump estime ne pas avoir besoin des recommandations éclairées de l’appareil de sécurité nationale, comme en fait foi cette déclaration faite peu avant l’annonce de l’identité du successeur de Bolton : « C’est un emploi formidable parce que c’est très agréable de travailler avec Donald Trump. C’est en fait très facile de travailler avec moi. Vous savez pourquoi c’est facile ? Parce que je prends toutes les décisions. Ils n’ont pas à travailler. »

Qu’arrive-t-il lorsque sont abandonnés les processus et structures formels au profit de l’improvisation ? Le président prend des décisions imprudentes, flirtant parfois avec l’illégalité, et des conseillers officiels ou officieux s’approprient unilatéralement certains dossiers de politique extérieure et peuvent les détourner à des fins frauduleuses. On cite souvent l’exemple de l’affaire Iran-Contra survenue durant le second mandat de Ronald Reagan pour illustrer les conséquences d’une telle prise en otage de la politique étrangère par des opérateurs bureaucratiques sans scrupule. Mais que se passe-t-il lorsqu’un président sous-traite en partie la conduite de sa politique étrangère à un individu qui n’occupe aucune fonction officielle au sein du gouvernement américain ? C’est ce que nous sommes en train de découvrir avec le tandem Trump-Giuliani.

L’homme de main du président

Rudy Giuliani a su gagner la confiance de son patron en accomplissant bien des tâches ingrates. Rappelons qu’en octobre 2016, il fut le seul conseiller du candidat Trump à accepter de le défendre publiquement après la diffusion de propos misogynes et vulgaires enregistrés par l’émission Access Hollywood. Entre 2017 et 2019, Giuliani a répété le mantra de la « chasse aux sorcières » sur toutes les plateformes pour décrédibiliser l’enquête du procureur spécial Robert Mueller et protéger son client.

Or, depuis le début de 2019, il ne se contente plus de jouer à l’homme de main du président sur toutes les chaînes de nouvelles : Giuliani a lancé une vaste opération politico-diplomatique en marge du département d’État pour récolter de l’information au sujet d’allégations de corruption, qui demeurent non fondées, impliquant Joe Biden. Grâce à l’aide de certains diplomates, dont l’envoyé spécial en Ukraine Kurt Volker, qui a démissionné dans la foulée de la présente crise, Giuliani est entré en contact avec des conseillers du président Zelensky et l’ex-procureur général du pays. En mai dernier, il a même tenté de se rendre à Kiev pour forcer le déclenchement d’une enquête sur Joe Biden et son fils Hunter. Giuliani a aussi alimenté une campagne de salissage contre l’ambassadrice américaine à Kiev, Marie Yovanovitch, une diplomate respectée. À la suite des attaques soutenues des partisans du président, Yovanovitch a mystérieusement été rappelée à Washington. Trump a peut-être freiné les ardeurs de Giuliani en le forçant à annuler son controversé voyage en Ukraine, mais il n’a pas exigé qu’il cesse sa cabale contre Biden. Au contraire, Trump a suggéré à Zelensky de contacter Giuliani et le procureur général William Barr plutôt que de travailler avec son secrétaire d’État Mike Pompeo, le responsable de la diplomatie américaine.

Les révélations au sujet de l’affaire ukrainienne et des agissements de Giuliani ne font que dévoiler l’ampleur de la dérive de la politique étrangère, qui pourrait coûter cher à Donald Trump. Confier de telles responsabilités à Rudy Giuliani est une façon pour un président de s’« auto-destituer », disait dimanche Tom Bossert, un ancien conseiller de cette Maison-Blanche en crise, sur le réseau ABC. Reste à voir si le tandem Trump-Giuliani subira un sort similaire à celui de Richard Nixon et de son bras droit H. R. Haldeman dans l’affaire du Watergate.

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