Hunting Trump

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La traque de Trump

L’étau se resserre autour de Trump. Le processus engagé il y a un mois par la majorité démocrate à la Chambre des représentants — l’enquête préliminaire visant à une mise en accusation parlementaire appelée impeachment (le mot est au Petit Robert) — va-t-il finalement le coincer ?

Ou au contraire, tel un insaisissable poisson visqueux, ce personnage va-t-il continuer d’échapper à toutes les règles qui s’appliquaient jusqu’en 2016 à la politique américaine, voire à la politique tout court ?

Il n’est pas impossible que le jour du jugement se rapproche et que la loi de la gravité, contre toute attente, arrive finalement à rattraper Donald Trump.

On connaît ses forces : en pulvérisant et en ridiculisant les pratiques établies, le rapport à la rationalité, à la vérité, aux faits et à la bienséance, il a réinventé la politique et a conquis l’appui indéfectible, souvent militant, d’un gros tiers, voire de 40 % de l’électorat américain. Un électorat révolté et aliéné dont il exploite la colère. Fort de cette base, il a virtuellement mis à sa botte l’un des deux grands partis politiques américains.

Le soutien populaire à Trump est réel ; il exprime quelque chose de profond et d’important. Mais la question est de savoir si, sous les coups de boutoir de l’enquête « ukrainienne » au Congrès — un scandale à la fois énorme et simple à comprendre, loin des ramifications complexes de l’enquête Mueller —, cet appui se verra réduit, ne serait-ce que de quelques points, mais suffisamment pour inquiéter le locataire de la Maison-Blanche en 2020.

Si le président « tient » à sa botte les représentants et les sénateurs républicains au Congrès — presque tous écrasés et veules devant ses transgressions répétées —, rien ne dit que cet appui sera éternel.

On ne parle pas ici d’un soudain retour à l’intégrité morale de politiciens qui ont vendu leur âme au diable… mais bien d’intérêt électoral.

Aujourd’hui, le président est capable de dire à un sénateur ou à un représentant républicain tenté de le laisser : « Tu es fini si je décide de soutenir, à l’interne, quelqu’un d’autre pour te chasser et prendre ta place. » Trump dispose d’un grand réservoir de militants inconditionnels qui peuvent déloger, aux élections primaires, un élu à la loyauté vacillante.

C’est vrai aujourd’hui… Mais demain, si le glissement qu’on observe dans l’opinion publique durant cette enquête pour impeachment se confirmait ?

Depuis deux semaines, l’appui à l’impeachment et à la destitution de Donald Trump a progressé de façon marquée. La moyenne des derniers sondages montre que 49 % des Américains sont favorables à la destitution, contre 43 % qui s’y opposent. Certains sondages vont jusqu’à 53 %. Du jamais vu.

En guise de comparaison, en mai 1974, trois mois avant le départ forcé d’un Richard Nixon cerné par les enquêtes sur le Watergate, 49 % étaient pour sa destitution, contre 41 %. En juillet, c’était 53 à 34 %. Nixon démissionnera le 9 août.

Au cours de la dernière semaine, on a vu des signes croissants d’inquiétude et de désarroi à la Maison-Blanche et parmi les élus républicains.

Les mots utilisés par Trump pour qualifier William Taylor, l’ambassadeur suppléant à Kiev (un tranquille diplomate de carrière, sorti de sa retraite et nommé par le gouvernement Trump il y a quatre mois, dont le témoignage sur l’affaire ukrainienne, mardi dernier, s’est avéré accablant), étaient en dessous de tout.

« C’est un déchet humain », a-t-il craché. Le président a aussi parlé de « lynchage » (lynching en anglais), un mot extrêmement chargé au vu de l’histoire américaine.

Mercredi, l’irruption « sauvage », une sorte de sit-in de dizaines de représentants républicains, à côté de la salle où se déroulaient les dépositions à huis clos, renvoyait, elle aussi, une image de panique et d’improvisation, face à une dynamique qui semble s’emballer contre eux.

Le mur tombera-t-il ? Impeachment il y aura, c’est sûr. Quant au procès qui suivra, au Sénat, on ne peut plus rien exclure. Y compris l’hypothèse extrême, où l’on verrait une vingtaine de sénateurs républicains rejoindre les démocrates et se retourner contre le chef qui, depuis trois ans, les terrorise et les mène au doigt et à l’oeil.

François Brousseau est chroniqueur d’information internationale à Ici Radio-Canada.

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