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Le sauve-qui-peut américain

Les talibans afghans étaient et demeurent en position de force face aux États-Unis. Ils l’étaient depuis l’ouverture des discussions directes avec Washington, à l’été 2018, étant donné la promesse faite à ses électeurs par Donald Trump de retirer les troupes américaines d’Afghanistan, qu’il y ait accord ou non. Ils le restent alors que devaient en principe s’ouvrir mardi de laborieuses négociations de paix interafghanes destinées à mettre définitivement un terme à 18 ans de guerre.

Que l’accord conclu il y a un peu plus d’une semaine entre les talibans et les États-Unis sur la base de ces pourparlers directs soit historique, on en convient, dans la mesure où il crée pour les Américains une porte de sortie au plus long conflit de leur histoire. Sauf que l’histoire risque surtout de retenir, ainsi qu’on le soupçonne depuis longtemps, que l’engagement occidental à asseoir durablement les grands principes de démocratie et de liberté en Afghanistan, une fois les fondamentalistes talibans évincés du pouvoir en 2001, sera largement resté vain pour la population en général, et les Afghanes en particulier.

Si l’accord signé à Doha demeure en grande partie secret, il revient pour l’essentiel à un sauve-qui-peut américain que M. Trump voudra maquiller électoralement en succès diplomatique — sans que cela lui soit forcément utile, à vrai dire, comme la peur du coronavirus, faisant le vide autour d’elle, va continuer de s’imposer dans l’opinion publique.

Ainsi, les États-Unis se sont engagés à réduire leurs troupes de 12 000 à 8600 soldats au cours des quatre prochains mois et à procéder graduellement au cours des neuf mois suivants à un retrait total. La contrepartie talibane est en revanche plus vague, les insurgés promettant de freiner les violences et d’interdire, engagement clé pour les États-Unis, l’accès au territoire afghan à tout groupe djihadiste. Les diplomates américains ont beau répéter qu’il s’agit d’un accord « conditionné », la dynamique qu’il installe surligne que Washington a bien décidé de déguerpir coûte que coûte et qu’à la clé, il se trouve concrètement à sous-traiter aux talibans la sécurité nationale américaine. De fait, l’intensité des attaques talibanes contre les forces de sécurité afghanes n’a pas diminué depuis la signature de l’entente, et une trentaine de personnes, dont des femmes et des enfants, ont été tuées vendredi dernier à Kaboul dans une attaque revendiquée par le groupe État islamique.

Difficile, dans ces conditions, de ne pas être inquiet face au dialogue interafghan qui doit maintenant s’engager en vertu du « plan de paix ». Un dialogue que l’État afghan est aujourd’hui tenu d’ouvrir avec les talibans après avoir été complètement exclu des pourparlers sur les modalités du retrait militaire américain. Il y a lieu d’être perplexe, comme, d’une part, les talibans ne forment pas un mouvement homogène et que, d’autre part, le gouvernement afghan, éminemment corrompu et désorganisé, souffre à l’heure actuelle d’une guerre politique ouverte entre le président Ashraf Ghani et son numéro deux, Abdullah Abdullah, censés se partager le pouvoir. Avec le résultat que lundi, spectacle désolant, M. Ghani, officiellement réélu à la présidentielle de septembre dernier, et M. Abdullah, qui conteste sa victoire, ont organisé leur investiture dans des ailes différentes du palais présidentiel…

Pour autant, il est impérieux que s’installe ce dialogue pour que puissent être jetées les bases d’une réconciliation nationale, si tant est que se réconcilier avec des fanatiques soit possible, ou tout au moins, pour en finir au mieux avec la loi des armes et de la violence. Pour ensuite sortir ce pays de son état de narco-économie. Pour que progresse le respect des droits fondamentaux et de ceux des femmes — des enjeux complètement absents de l’accord entre Washington et les talibans. Pour que le Pakistan cesse d’être un empêcheur de danser en rond.

On dit que, malgré tout, un certain espoir souffle sur le pays. En outre, la « communauté internationale » a un rôle à jouer, pour accompagner dans le temps long de l’histoire ces efforts de pacification. Cela demandera du doigté diplomatique. Le Canada s’est engagé militairement en Afghanistan jusqu’en 2014. Qu’il se rende utile à cet effort de dialogue.

D’aucuns se consolent à l’idée que l’accord de retrait fignolé par Washington a au moins le mérite de libérer les Afghans du joug militaire américain et, ce faisant, de les rendre davantage maîtres de leur avenir. C’est juste en même temps que ça ne l’est pas. Après 18 ans d’une guerre inutile, et en s’en allant n’importe comment, les États-Unis se trouvent aussi à abandonner les Afghans et les Afghanes à leur sort.

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