Biden or Sanders?

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Biden ou Sanders?

La possibilité — aujourd’hui crédible — que Joe Biden puisse devenir, en novembre, le « tombeur » de Donald Trump, a des petits airs de restauration. Biden a été le vice-président de Barack Obama ; il a déjà passé huit ans à la Maison-Blanche.

Dans la campagne des primaires démocrates — qui a connu, il y a six jours, une simplification spectaculaire en sa faveur —, Biden est redevenu le favori du camp dit « modéré » ou centriste (aussi appelé « camp de l’establishment »), contre le dernier adversaire sérieux qu’est désormais Bernie Sanders.

Sanders a pris, lui, la posture de la rupture, du révolutionnaire socialiste — ce qui, avant l’irruption en 2016 de ce sénateur solitaire, ancien maire de Burlington, était sans précédent à ce niveau en politique américaine. Mais attention aux raccourcis et aux illusions d’optique…

Restauration ? Retour à « l’avant-Trump » ? Comme si ces trois années de présidence Trump n’étaient qu’un moment d’égarement, un mauvais rêve vite effacé ?

Faux et impossible. Une défaite de Trump, oui, est plausible cet automne, malgré un système électoral qui forcera son adversaire démocrate à le battre par au moins trois ou quatre points de pourcentage pour emporter le collège électoral.

Mais un tel résultat n’effacera jamais ce qui s’est produit (ou accentué) depuis novembre 2016 : un nouveau rapport à la réalité, la montée des fake news (à la fois dénoncée et célébrée chaque jour par Trump), le désintérêt populaire face à la politique, ou le radicalisme de ceux qui s’y impliquent toujours (pro ou anti-Trump), l’effondrement du centre, du dialogue et du « bipartisanisme » jadis constitutif du jeu parlementaire, le radical déclin international des États-Unis, etc.

Un éventuel président Biden occuperait un terrain politique profondément bouleversé par l’épisode Trump, dans un pays divisé comme jamais. Biden président ne serait pas un « Obama bis ».

Biden, candidat de la droite du parti ? Pas vraiment. Qu’il y ait aujourd’hui des caciques du Parti démocrate bousculés, voire effrayés par l’efficace campagne de Bernie Sanders, le « révolutionnaire » du Vermont, et qui voient dans Joe Biden celui qui aurait le plus de chance dans un face-à-face avec Trump : c’est vrai.

Pourtant, comme le faisait valoir ce week-end l’économiste Thomas Piketty dans Le Monde (à la suite de John R. MacArthur, la semaine dernière dans ces pages), Sanders a souvent de meilleurs sondages que Joe Biden dans les simulations face à Trump. Et il est celui qui serait le plus à même de mobiliser en faveur des démocrates le vote des plus jeunes et celui des plus pauvres.

Sanders, un socialiste révolutionnaire ? Non. Ici, on paraphrasera le chroniqueur Paul Krugman, dans plusieurs textes récents : Bernie Sanders n’est pas si à gauche qu’on le croit… et qu’il le dit lui-même ! Son discours de « rupture révolutionnaire » est une posture autant qu’un véritable programme.

Sanders est un social-démocrate à l’européenne. Il est pour les impôts et les dépenses publiques en matière d’éducation et de santé pour tous.

Qui plus est, dans le débat des derniers mois — c’était l’argument de Frank Bruni samedi dans le New York Times — il a gagné la bataille des idées et tiré vers la gauche presque toute la cohorte des candidats. La taxe sur le patrimoine des riches faisait aussi partie du programme de Warren, Biden… et même Bloomberg ! Biden a un plan de… 1700 milliards de dollars pour le climat.

Mais Sanders, par son ton, son intransigeance, son refus du compromis et des alliances, transmet une odeur de dogmatisme (qui ne signifie pas extrémisme). Sans oublier certains de ses partisans, prompts à crier à la trahison et à haïr leurs adversaires, y compris démocrates : miroir inversé – en fait d’ardeur militante — des milieux pro-Trump.

Et puis, il y a ce passé « philo-soviétique » bien documenté, qui fournirait, cet automne, des cibles de choix aux fauves du camp opposé. D’où cette idée que, malgré ses bons chiffres actuels, une candidature Sanders ne tiendrait pas la distance face à la machine Trump.

La mission unique — et peut-être brève — de Joe Biden cet automne : mettre fin à cette présidence… puis passer rapidement la main.

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