Dollar pas mort, Amérique pas morte. Les économistes, pour une fois, étaient d’accord, il y a quelques semaines, pour pronostiquer un effondrement du billet vert. Mi-juillet, celui-ci était tombé à 1,6038 dollar pour 1 euro, le cours le plus faible de son histoire, et tout laissait penser qu’il allait tomber plus bas, beaucoup plus bas.
Les Etats-Unis semblaient au bord de la syncope, payant cash leurs années de débauche financière, d’excès de dérégulation et d’orgies de crédits. En Europe, on se préparait déjà à cet événement monétaire avec une certaine angoisse – celle d’un euro trop fort étranglant les exportations – mais aussi un brin de délectation -, celle d’assister en direct, par monnaie interposée, au déclin de l’empire américain.
Mais au lieu de plonger comme annoncé, le billet vert est remonté à toute allure, regagnant plus de 10 % de sa valeur face à l’euro. A l’origine de cette résurrection monétaire inattendue, des chiffres montrant que l’Amérique, contrairement à ce que certains avaient cru et d’autres espéré, n’est pas K.-O. Le produit intérieur brut (PIB) des Etats-Unis a affiché un taux de croissance de 3,3 %, en rythme annuel, au deuxième trimestre. Une performance pas époustouflante en elle-même, mais un exploit formidable comparé au – 0,8 % enregistré dans la zone euro au cours de la même période. Selon l’OCDE, la croissance atteindra 1,8 % aux Etats-Unis en 2008, contre 1,3 % sur le Vieux Continent.
On a beau être habitués à la domination des Etats-Unis – ils ont depuis quinze ans une croissance systématiquement supérieure à la nôtre -, le choc est rude. Voir le berceau des subprimes, le pays aux banques discréditées, au président démonétisé, retrouver aussi vite le chemin de la croissance alors que l’Europe, réputée vertueuse avec des “fondamentaux sains”, glisse sur celui de la récession, ce n’est pas seulement un comble. C’est une humiliation, une de plus, pour les Européens. Que les keynésiens et les libéraux interprètent, cela ne surprendra personne, de façon opposée.
Pour les premiers, il ne fait pas de doute que le rebond de l’économie américaine est à mettre sur le compte de la relance tous azimuts décidée aux Etats-Unis depuis un an. La Réserve fédérale américaine a abaissé ses taux de 5 % à 2 %, l’administration Bush a ouvert son carnet de chèques pour décider les Américains à se rendre au supermarché. Dans le même temps, l’Europe était victime de son orthodoxie, avec une Banque centrale européenne (BCE) autiste et des Etats engoncés dans le pacte de stabilité.
Pour les libéraux, le décalage de croissance de part et d’autre de l’Atlantique démontre de façon définitive la supériorité du modèle libéral américain, le pays où le marché du travail est aussi souple que les prélèvements obligatoires sont bas et que le nombre de jours de vacances est faible. Que l’Europe se dote des mêmes fondations économiques – autrement dit fasse ses fameuses réformes structurelles – si elle veut résister comme les Etats-Unis aux chocs et afficher la même résilience.
On ne réconciliera pas les deux camps, sauf à dire qu’ils ont un peu raison tous les deux. Sauf à évoquer le sujet de la gouvernance économique, sur laquelle tout le monde ne peut que tomber d’accord. Elle existe aux Etats-Unis, pas en Europe.
Le président de la Réserve fédérale américaine, Ben Bernanke, et le secrétaire au Trésor, Hank Paulson, ne prennent pas seulement régulièrement leur petit déjeuner ensemble. Ils travaillent et agissent de concert pour sauver les banques et lutter contre la récession. En Europe, un an après le début de la crise, on attend toujours l’esquisse d’un début de réponse macro-économique. On atteint le degré zéro du “policy mix”, le degré zéro en matière de coordination des politiques monétaire et budgétaire.
Sur le deuxième point, chacun tire dans son coin. Pendant que l’Espagne adopte une batterie de mesures pour relancer sa croissance, l’Allemagne, redevenue un parangon de vertu budgétaire, écarte cette éventualité. Quant à la France, ce n’est certes pas l’envie de relancer qui lui manque, mais les moyens. Alors elle doit se contenter d’un ersatz de relance, à la jolie couleur verte mais aux effets sur le taux de croissance très aléatoires.
Côté monétaire, la défiance et l’incompréhension sont réciproques et totales entre le patron de la BCE, Jean-Claude Trichet, et le président en exercice de l’Union européenne, Nicolas Sarkozy. Le second prend le premier pour un psychorigide sous influence allemande ; M. Trichet voit dans M. Sarkozy une figure emblématique du politicien français. C’est tout dire.
Il faut se garder de lire dans les fluctuations des devises ce qui n’y est pas écrit. Les évolutions du marché des changes restent un profond mystère qui résiste aux tentatives des milliers de mathématiciens pour le percer et le modéliser, les variations des monnaies sont plus difficiles à mettre en équations que les mouvements des galaxies. Il n’empêche. Dans le rebond actuel du dollar face à l’euro, difficile de ne pas y voir ce message : l’Amérique ne va pas si mal qu’on le prétendait, l’Europe se porte nettement moins bien qu’elle avait essayé de s’en convaincre.
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