Harmful Warmongering

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On peut se demander légitimement qu’est-ce qui a changé entre octobre 2009 et mai 2010? Les deux accords signés, le premier entre l’Iran et les “5+1” en octobre dernier, et le second entre l’Iran, d’une part, et le Brésil et la Turquie, de l’autre, sont pratiquement identiques. Le seul petit problème, si l’on peut dire, est que, après la signature du premier accord, l’Iran a changé d’avis et s’est rétracté, et, après la signature du second accord, ce sont les Etats-Unis qui se sont rétractés en refusant de prendre en considération les efforts diplomatiques substantiels fournis par le Brésil et la Turquie et en déposant au Conseil de sécurité de l’ONU un nouveau projet de sanctions, encore un, contre l’Iran.

Les deux accords sont pratiquement identiques puisque, aussi bien en octobre 2009 qu’en mai 2010, l’Iran a accepté d’envoyer à l’étranger la même quantité d’uranium non enrichi (1.200 kilogrammes) et de recevoir la même quantité d’uranium enrichi à 20% (120 kilos) pour son réacteur expérimental.

L’Iran a certes commis l’erreur de se rétracter avant de regretter implicitement en tentant de revenir à l’accord initial avec l’aide du Brésil et de la Turquie. Mais ce qui est déconcertant, c’est le brusque durcissement de la position américaine sans mobile apparent. On décèle deux changements majeurs dans la position américaine : 1- En octobre 2009, les Etats Unis ne posaient pas comme condition l’arrêt total de l’enrichissement d’uranium en Iran comme préalable à l’accord, ce qu’ils exigent maintenant. 2- En octobre 2009, ils étaient intéressés par une atmosphère de confiance avec l’Iran et considéraient l’accord comme “un premier pas” vers un dialogue global sur les problèmes complexes qui empoisonnent les relations irano-américaines depuis un tiers de siècle. Aujourd’hui, les Américains ne semblent intéressés que par une seule chose: l’arrêt de l’enrichissement de l’uranium par les Iraniens, point final.

En d’autres termes, la position américaine de l’automne dernier était plutôt conforme au discours d’Obama du 4 juin dernier au Caire dans lequel il avait fait l’apologie de la civilisation iranienne et avait tendu la main à l’Iran. Ce à quoi on assiste aujourd’hui, c’est une position plutôt conforme à la politique de l’administration Bush-Cheney où le langage de la force, le recours systématique aux sanctions et les menaces de bombardement étaient la règle.

Ce changement substantiel dans la position américaine en l’espace de quelques mois n’est ni gratuit ni fortuit. Il est l’expression d’une lutte au sein de l’administration Obama entre deux lignes diamétralement opposées : celle qui veut un rapprochement avec l’Iran sur la base d’une résolution des contentieux importants entre les deux pays, et celle qui ne veut pas entendre parler de normalisation. Les défenseurs de la seconde ligne ont semble-t-il le vent en poupe actuellement et ont réussi à rallier à eux le Président Obama, si l’on en juge par le contraste saisissant entre le ton conciliant de son discours du 4 juin 2009 et son intransigeance actuelle.

Le Brésil et la Turquie se trouvent dans une situation embarrassante. Après tant d’efforts diplomatiques au cours desquels le Président brésilien et le Premier ministre turc ont fait le déplacement à Téhéran, Washington se comporte comme si de rien n’était et poursuit imperturbablement ses pressions pour le vote au Conseil de sécurité en faveur des nouvelles sanctions. La “colère” de la Turquie est d’autant plus légitime que, d’après l’International Herald Tribune, ce sont les Etats-Unis eux-mêmes qui ont demandé à Ankara au début de cette année d’essayer de “redonner vie” à l’accord d’octobre 2009. “Ce qu’ils (les Américains) voulaient qu’on fasse, c’est de gagner la confiance des Iraniens et d’arriver à un accord avec eux. Nous avons fait notre devoir”, a affirmé le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, cité par le quotidien américain.

Cela tourne à la tragi-comédie. Loin d’être remerciés, la Turquie et le Brésil sont pris à partie par Nicholas Burns, le sous-secrétaire américain aux Affaires politiques. “Je pense réellement que l’accord conclu par le Brésil et la Turquie avec l’Iran est regrettable. En signant un tel accord avec Ahmadinejad, et bien qu’animés de bonnes intentions, le Brésil et la Turquie auront contribué à alléger la pression sur l’Iran et à donner le prétexte à certains membres du Conseil de sécurité pour voter contre les sanctions”, n’a pas hésité à affirmer M. Burns à la Voix de l’Amérique (VOA).

En toute objectivité, l’accord irano-turco-brésilien est une occasion ratée par les Etats-Unis pour réduire la tension dans la région et s’engager dans un processus de normalisation avec l’Iran. Cette occasion est d’autant plus précieuse que les difficultés politiques et militaires américaines en Irak et en Afghanistan réduisent fortement la marge de manœuvre de la Maison-Blanche.

Pourtant, le Président Obama aurait pu très bien se jeter sur l’occasion et transformer l’accord critiqué par M. Burns en une victoire pour la diplomatie américaine. Il aurait pu dire avec beaucoup de crédibilité que si les Iraniens sont revenus à l’accord qu’ils ont renié il y a quelques mois, c’est grâce aux pressions constantes exercées par les Etats-Unis. Et tout le monde les aurait cru et tout le monde aurait applaudi.

Une telle réaction aurait été certainement possible si Obama avait gardé les principes fondamentaux sur la base desquels il était élu et qu’il avait affirmés et réaffirmés dans ses discours pré-électoraux et post-électoraux. Mais ce n’est pas le cas, et l’attitude américaine vis à vis de la question iranienne est toujours marquée par un bellicisme fortement dommageable pas seulement pour l’image des Etats-Unis, mais pour leurs intérêts stratégiques. La raison est très simple : Bush est à la retraite au Texas, mais ses idées sont toujours actives à Washington.

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