Le Congrès se fait lancer des tomates
(New York) La tomate est un fruit, sauf si on l’étend sous forme de sauce sur une pointe de pizza, auquel cas celle-ci peut alors être comptée comme un légume lorsque servie dans les cafétérias scolaires américaines.
C’est du moins ce qu’a décrété la semaine dernière le Congrès des États-Unis, après avoir cédé aux pressions du lobby des aliments surgelés, qui luttait contre les nouvelles règles de l’administration Obama pour combattre l’obésité chez les écoliers.
«Je ne manque jamais de matériel lorsque le Congrès est en session», ironisait Will Rogers, célèbre humoriste du début du XXe siècle.
Avant lui, l’écrivain Mark Twain disait, en parlant des élus qui siègent au Sénat et à la Chambre des représentants: «Supposons que vous êtes un idiot. Et supposons que vous êtes un membre du Congrès. Mais je me répète.»
Les pointes de Rogers et Twain prouvent que le Congrès des États-Unis suscite la dérision depuis longtemps. Mais le parlement bicaméral du gouvernement fédéral américain suscite aujourd’hui un mépris inégalé dans l’histoire moderne. Seulement 9% des Américains l’approuvent, selon un sondage réalisé le mois dernier pour le compte du New York Times et de CBS News.
Le Congrès est donc moins populaire que Paris Hilton (15%), BP durant la marée noire de 2010 (16%), l’industrie pétrolière et gazière (20%), les banques (23%), Richard Nixon durant le Watergate (24%), les avocats (29%), l’industrie aérienne (29%) et le fisc (40%), selon divers sondages crédibles colligés par le Washington Post la semaine dernière.
Impasse sur la dette
Mince consolation: le Congrès n’est pas plus détesté par les Américains que le président vénézuélien Hugo Chavez (9%) et l’ancien dictateur cubain Fidel Castro (5%).
La propension du Congrès à se soumettre à divers lobbys, dont celui de la pizza surgelée, n’est pas la seule cause de son impopularité actuelle. L’incapacité de ses membres à surmonter leurs divisions partisanes et idéologiques est aussi un facteur.
Incapacité qui a été démontrée de façon éclatante et consternante, l’été dernier, lors du bras de fer autour du relèvement du plafond de la dette. Incapacité qui devrait à nouveau faire les manchettes cette semaine alors qu’une «super commission» bipartite a en principe jusqu’au 23 novembre pour trouver des façons de réduire de 1500 milliards les déficits sur 10 ans, somme qui s’ajouterait aux 917 milliards d’économies déjà décidées par l’accord du mois d’août sur le relèvement du plafond de la dette.
Cet accord, faut-il le rappeler, avait été jugé tellement insuffisant que l’agence Standard&Poors avait décidé, le 5 août, de dégrader la note AAA de la dette des États-Unis, une première historique.
Or, tout indique que la «super commission», créée dans le cadre de l’accord d’août et composée de 12 membres (6 démocrates et 6 républicains), ne parviendra pas à s’entendre avant le 23 novembre.
Cet automne comme l’été dernier, républicains et démocrates butent sur les mêmes écueils. Les républicains s’opposent à toute réduction de l’endettement qui passerait par un relèvement des impôts, alors que les démocrates insistent sur une approche «équilibrée» qui combine des réductions budgétaires et des augmentations de recettes fiscales.
Les agences de notation prêtes à sévir
S’il faut se fier aux sondages, les Américains préfèrent la position des démocrates, mais les élus républicains ne semblent pas vouloir déroger à ce qui est devenu pour eux un dogme.
À défaut d’une entente entre les membres de la super commission, des coupes automatiques dans les dépenses militaires et de santé à hauteur de 1200 milliards seront enclenchées.
Une telle issue ne serait pas aussi dramatique que l’aurait été l’échec des négociations en août. Faute d’un accord sur le relèvement du plafond de la dette, les États-Unis n’auraient plus eu les moyens d’emprunter pour honorer leurs engagements.
Mais les agences de notation ont indiqué qu’elles suivraient avec attention les travaux de la super commission pour voir si les élus du Congrès sont encore capables de s’entendre pour s’attaquer aux déficits. Et elles n’ont pas écarté, en cas d’impasse, la possibilité d’une nouvelle décote de la dette publique américaine, qui dépasse 15 000 milliards depuis mardi dernier.
En attendant l’échec annoncé, David Letterman, héritier de Will Rogers, pourrait recycler une des blagues que lui avait inspirée le compte à rebours de l’été dernier sur le relèvement du plafond de la dette: «Le Congrès promet de travailler 24 heures sur 24 jusqu’à ce que [les élus] soient absolument certains qu’ils n’accompliront rien.»
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