Obama Pulls the ‘Race Card’

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Après les événements de Ferguson, le président américain a réuni à la Maison-Blanche les acteurs en lien avec la question du racisme institutionnel. S’il a perdu de sa réserve, certains estiment qu’il n’en fait pas assez

Dans l’église Ebenezer d’Atlanta, la paroisse du révérend Martin Luther King, des manifestants ont interrompu lundi soir le ministre de la Justice, Eric Holder. «Pas de justice, pas de paix», «nous n’avons rien à perdre si ce n’est nos chaînes.» Les slogans furent à la hauteur des frustrations de la communauté noire en Amérique après l’acquittement du policier blanc Darren Wilson, qui a abattu Michael Brown, un Afro-Américain de 18 ans non armé, le 9 août dernier à Ferguson, dans le Missouri. Premier Afro-Américain à la tête du Département américain de la justice, Eric Holder n’a pas cherché à réprimander les chahuteurs, saluant au contraire l’expression d’une vive préoccupation et d’un engagement. C’est ainsi «que le changement va venir», a-t-il ajouté, répondant à la prédiction que Ferguson pourrait devenir un nouveau «Selma» dans la lutte inachevée des droits civiques.

Pour Barack Obama, c’est un peu l’heure de vérité. Accusé par une minorité d’Afro-Américains de ne pas en faire assez pour eux, le premier président noir de l’histoire des Etats-Unis est confronté à une résurgence aiguë de la question raciale avec les émeutes de Ferguson et la multiplication d’événements récents, révélant une rupture nette de confiance entre les polices du pays et les Noirs.

Pour y remédier, Barack Obama n’a pas tardé. Il a réuni lundi à la Maison-Blanche une cinquantaine d’acteurs concernés par la problématique: maires de grandes villes, représentants des forces de l’ordre, jeunes activistes des droits civiques. Il a créé une task force pour améliorer les pratiques policières. Celle-ci est sommée d’émettre ses recommandations dans les nonante jours. Barack Obama a ordonné que les policiers soient désormais équipés de caméras afin que leurs actes puissent être supervisés. Il répond ainsi à une revendication de bon nombre d’Afro-Américains de Ferguson, lassés par ce qu’ils considèrent comme un harcèlement policier injustifié. Il prévoit aussi d’investir 263 millions de dollars pour la formation des policiers. Eric Holder promet, de son côté, de nouvelles normes d’engagement de la police pour mettre fin au profilage racial.

Est-ce suffisant? Rencontré voici quelques jours dans le McDonald’s de la West Florissant Avenue, un point chaud de Ferguson, Eric Harriel, un Afro-Américain de 55 ans, se confiait au Temps : «La réunion des élus noirs du Congrès (Black Caucus) n’exige rien du président. Ils n’exercent aucune pression sur lui. C’est sous le règne de Barack Obama que Trayvon Martin et Michael Brown ont été tués. Non, Barack Obama n’est pas Martin Luther King, ni Malcom X.» Pour certains, le président démocrate a trahi les Afro-Américains. Ces mêmes critiques renforcent le cliché selon lequel Bill Clinton, le premier «président noir» aurait eu davantage de compréhension pour la seconde minorité du pays. Or, sur le plan social, Barack Obama a mené une politique qui a bien plus profité aux Afro-Américains en difficulté.

Si l’Amérique n’est pas post-raciale, un espoir naïf nourri par nombre d’observateurs, notamment européens, ce serait le résultat d’une promesse non tenue. Or, en mars 2008, lors de son fameux discours sur la race à Philadelphie, Barack Obama avait averti: «Je n’ai jamais eu la naïveté de croire que nous pourrions dépasser nos divisions raciales en un seul cycle électoral.» Quelques voix afro-américaines reprochent par ailleurs à Barack Obama d’avoir repris en partie le discours du désormais très contesté Bill Cosby qui, dans ses émissions télévisées, appelait la communauté noire à assumer ses responsabilités.

Les mesures de la Maison-Blanche ne sont pas spectaculaires. Mais elles révèlent un engagement présidentiel déjà manifeste après le lancement de l’initiative My Brother’s Keeper, un programme censé aider les jeunes Afro-Américains et Hispaniques à combler leurs graves déficits en termes de réussite scolaire. Plusieurs facteurs expliquent néanmoins la prudence de Barack Obama. Les historiens ne se souviennent pas d’avoir vu un président être la cible d’autant d’attaques. Si Barack Obama n’a pas voulu se rendre à Ferguson en août dernier, c’est parce qu’il a préféré envoyer sa «conscience» Eric Holder, pour ne pas verser de l’huile sur le feu à un moment très tendu. Le débat racial américain renvoie enfin aux tourments internes du président à l’époque de son adolescence hawaïenne. De père africain et de mère blanche du Kansas, Barack Obama a été surtout élevé par ses grands-parents blancs. Dans son livre Rêves de mon père , il évoque ses difficultés d’être Noir, même s’il fait le choix d’une identité clairement afro-américaine avec l’aide de sa mère, admiratrice de Martin Luther King. Désormais, il est plus en paix avec son identité et a perdu un peu de sa réserve. C’est insuffisant pour certains, c’en est déjà trop pour d’autres, qui l’accusent de jouer constamment la «carte raciale».

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