Les petits frères de Trump
On se doutait déjà que l’aventure de Donald Trump à la tête des États-Unis était probablement plus qu’un accident de parcours, ou un simple mauvais moment à passer. Que le « cri » trumpiste de l’Amérique profonde représente quelque chose de significatif et grave au XXIe siècle, autant pour la diplomatie mondiale que pour la définition moderne de l’action politique et de la démocratie.
Que le 8 novembre 2016 était bien davantage qu’un hasard de la mécanique électorale, toute bizarre et capricieuse que soit celle qui a abouti, ce soir-là, à l’arrivée du milliardaire fantasque à la Maison-Blanche, avec moins de voix que son adversaire (46 % contre 48 % à Hillary Clinton).
Ce cri avait eu des précurseurs avant novembre 2016.
On pense à l’Italien Silvio Berlusconi qui déjà, dans les années 1990 et 2000, redéfinissait la politique moderne autour du culte du chef, du marketing et de la manipulation des nouvelles. C’était avant l’arrivée des médias sociaux, loin des débats de fond, des détails législatifs et des réflexions complexes… dont le « capo », de toute façon, se foutait royalement, avec un fan-club qui applaudissait de toute façon.
Ce cri primaire en faveur de chefs démagogiques connaît aujourd’hui de nombreux échos, contemporains et en phase avec l’onde de choc américaine.
En 2016 aussi, un certain Rodrigo Duterte était élu président des Philippines. Lui aussi un peu curieusement, avec seulement 39 % des suffrages exprimés (scrutin à un tour), mais en en tirant ensuite de quasi pleins pouvoirs, pour lancer des offensives contre le crime organisé — un tsunami de justice sommaire violente, dénoncé par l’ONU — et contre la guérilla islamiste de l’île de Mindanao, Daech version Pacifique Sud.
Début 2018, les Italiens, se rebiffant contre l’immigration massive venue de Méditerranée, sous l’oeil non solidaire du reste de l’Europe, ont donné la moitié de leurs suffrages à deux formations dites « populistes » : la Ligue et le Mouvement 5-Étoiles.
Elles se sont ensuite alliées dans un gouvernement hybride, mélange de gauche dépensière (défi à la Commission européenne sur la limitation du déficit) et de droite sécuritaire, qui veut par exemple imposer un couvre-feu spécifique aux petits magasins tenus par des immigrés.
Là aussi, on a vu s’élever un homme fort aux gros muscles et au verbe vulgaire. Pourtant, Matteo Salvini, aujourd’hui ministre de l’Intérieur, n’avait obtenu que 17 % en mars dernier avec sa Ligue, partenaire mineur de cette coalition. Avec un Antonio di Maio (33 % le 4 mars 2018 pour les 5-Étoiles) relégué dans l’ombre… et un premier ministre de façade, dont on a oublié le nom.
Résultat paradoxal : Salvini est aujourd’hui l’homme fort incontesté du gouvernement italien… avec un sixième des voix il n’y a pas huit mois ! Aujourd’hui, selon les sondages, il en obtiendrait le double… ce qui ne fait encore qu’un tiers des appuis.
On ne peut pas en dire autant de Jair Bolsonaro, dernier arrivé dans ce club mondial des forts en gueule, des ultras et des autoritaires élus. Lui a bénéficié du système à deux tours au Brésil. Dès le premier, il faisait 46 % ; il est allé chercher 55 % au second.
Les portraits de Bolsonaro, ces dernières semaines, ont abondamment détaillé les nombreuses caractéristiques fascistes du personnage. Reste à voir comment elles se traduiront dans les faits, entre sa haine avouée des homosexuels et des Noirs, son amour des armes en vente libre et l’ultra-néolibéralisme de ses conseillers économiques.
Même dans la lointaine Amérique du Sud, parfois présumée « hors de l’Histoire », on trouve aujourd’hui de nettes filiations. Bolsonaro est un hybride qui combine — en les accentuant — les pires traits de Donald Trump et de Rodrigo Duterte.
Demain aux États-Unis, avec les élections de mi-mandat, se joue un peu l’avenir de toute cette mouvance. L’opposition démocrate pourra-t-elle imposer un frein au train emballé de Donald Trump, de ses foules inconditionnelles et agressives ?
Les contre-pouvoirs à l’autoritarisme montant vont-ils s’imposer : Chambre des représentants, tribunaux, commissions d’enquête ? Ou bien Trump et consorts représentent-ils une lame de fond qui affecte toute une époque et change le monde démocratique dans son entier… contre laquelle un petit vote d’étape aux États-Unis ne pourra donner grand-chose ?
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