Twitter, the Arena Where the Future of Democracy Is at Play

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Twitter, l’agora où se joue l’avenir de la démocratie

Dans son premier ouvrage, le journaliste Samuel Laurent livre une analyse saisissante des dérives observées sur le célèbre réseau social. Un voyage aussi passionnant qu’inquiétant au pays de l’oiseau bleu.

Le 6 janvier 2021 restera un jour historique pour Twitter. Celui où, débordés par les fausses informations martelées par le président américain Donald Trump lors de l’attaque du Capitole, le réseau social et son concurrent Facebook ont décidé de suspendre le compte de l’homme le plus puissant du monde . Une initiative spectaculaire qui était pourtant prévisible pour qui s’intéresse aux dérives observées sur ces plateformes.

Dans « J’ai vu naître le monstre », Samuel Laurent, journaliste au « Monde », où il a longtemps tenu la rubrique de vérification des faits « Les Décodeurs », raconte comment il a vu le petit oiseau bleu devenir une chimère, accueillant en son nid une armée de trolls. Du petit site de microblogging où le jeune journaliste qu’il était recherchait l’information et la reconnaissance de ses pairs jusqu’à cette arène ou de nombreuses communautés idéologiques se livrent un véritable pugilat, à coups d’informations plus ou moins fiables, avec « l’affaire Trump » comme point d’orgue.

Fabriquer l’actu

Avant même les outrances du 45e président des Etats-Unis, Samuel Laurent avait remarqué l’émergence sur le réseau d’un « proto-trumpisme » selon ses mots, où la polémique devient le meilleur moyen de se faire entendre. Et tant pis si celle-ci contredit les faits. Problème, ce landerneau est devenu le lieu de rendez-vous de ceux qui « fabriquent » l’actualité : politiques, intellectuels, militants, et bien sûr journalistes. Chacun essayant d’attirer l’attention pour en tirer soutiens, voix électorales ou visibilité.

A coup d’exemples ayant défrayé l’actualité française et internationale, le journaliste dresse le portrait de cette agora où l’émotion l’emporte sur la raison. Un miroir déformant de la « vraie vie » où il est bien facile de lancer une fausse information. Encore plus si elle revêt un caractère sulfureux. Plus désespérant, il y explique pourquoi dénoncer une intox avec des éléments factuels, et donc moins sensationnels, revient à éviter le naufrage du Titanic en écopant avec un gobelet. Un combat perdu d’avance qu’a pourtant tenté de mener l’auteur, jusqu’à ce que les conséquences sur sa santé mentale et sa vie personnelle le poussent à prendre ses distances avec l’oiseau bleu, épuisé par les mensonges, la mauvaise foi et les insultes de la « twittosphère ».

La boucle de l’intox

Le journaliste illustre parfaitement ce phénomène à travers, entre autres exemples, « l’affaire » Mamoudou Gassama, du nom de ce jeune demandeur d’asile malien ayant escaladé en 2018 la façade d’un immeuble parisien pour sauver un enfant suspendu à un balcon. Sur Twitter, certains utilisateurs ont crié au coup monté, présentant des explications erronées (la façade de l’immeuble était impossible à escalader, l’enfant était accroché à un harnais, etc.).

Ces thèses complotistes auraient pu s’arrêter à ce microcosme, mais comme l’explique l’auteur, certaines personnalités (journalistes, polémistes, intellectuels…) viennent piocher ces arguments sur Twitter avant de relayer à leur tour leurs « doutes » sur la véracité du sauvetage depuis un plateau de télé. Ces extraits d’émissions se retrouvent sur Twitter, et donnent du poids à l’argumentaire des complotistes. La boucle est bouclée.

Samuel Laurent pointe ici la responsabilité des chaînes d’info en continu, qui, par soucis d’économie, délaissent selon lui les coûteux reportages de terrain pour miser sur les débats en plateau, moins chers et plus susceptibles de faire de l’audience. Une généralisation du « format Grosses têtes », où les réseaux sociaux et les médias agissent comme des miroirs se réfléchissant l’un l’autre.

Constat amer

Ces fausses informations peuvent avoir des répercussions dramatiques sur la « vraie vie ». Outre les conséquences avérées des « fakes news » sur les présidentielles américaines ou le référendum sur le Brexit, Samuel Laurent évoque l’auteur de l’attaque contre une mosquée de Bayonne qui avait fait deux blessés en 2019. L’assaillant avait assuré vouloir se venger de l’incendie de Notre-Dame quelques mois plus tôt, provoqué selon lui par des islamistes. Une théorie rejetée par l’enquête officielle mais qui rencontre un franc succès dans le petit monde du complotisme « online », dont l’auteur de l’attaque était un membre assidu.

Au-delà de ce constat effrayant, l’ouvrage de Samuel Laurent laisse un amer sentiment d’impuissance. Après les excès de Trump, les réseaux sociaux tentent désormais d’alerter leurs utilisateurs sur les fausses informations. Mais est-ce leur rôle de faire ce tri ? Comme beaucoup d’autres, Samuel Laurent a cru que cette mission revenait aux journalistes. Las, il a finalement raccroché le clavier face à un monstre devenu trop gros.

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