Iraq: Electoral Nightmare

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L’Irak ou l’économie? Jusqu’en novembre, ce seront les deux piliers de la campagne présidentielle américaine, les deux thèmes autour desquels les camps se formeront et s’affronteront. Cinq ans après le déclenchement de la guerre, son règlement a perdu un peu de son urgence aux Etats-Unis: le nombre de morts est en nette diminution depuis l’envoi de 30000 soldats supplémentaires il y a un an. Et la crise qui frappe des pans entiers de l’économie a pris la relève en tête des préoccupations des Américains.

Scénarios d’après-guerre

Mais l’Irak va revenir par la grande porte. C’est sur cette question que John McCain fonde sa légitimité pour rassembler le camp républicain, se posant en défenseur éclairé de la sécurité nationale et de la lutte contre le terrorisme. C’est sur l’expédition irakienne que s’appuie aussi Hillary Clinton pour dénoncer «l’échec» de l’administration actuelle, dont elle voit McCain comme le simple continuateur. Et c’est sur l’Irak que se base Barack Obama pour insister sur la pertinence de son «jugement»: des trois, il est le seul à ne pas avoir autorisé l’invasion du pays en tant que sénateur. Le seul, dit-il, à ne pas avoir donné «un chèque en blanc» à George Bush.

Mais au-delà? Hillary Clinton prône un retrait rapide, qui commencerait 60 jours après sa prise de fonctions. Ce serait un retrait de toutes les troupes de combat dans les 16 mois pour Obama. Et pas de retrait du tout pour McCain, qui envisage grosso modo de rendre permanente la présence américaine dans ce pays.

Les propositions des candidats paraissent donc claires, mais elles ne le sont pas. Combien de temps durerait le retrait «progressif» d’Hillary: des mois, des années? Qu’adviendrait-il des «troupes non combattantes», qui tentent de servir d’épine dorsale à ce pays décomposé, après que partiraient les brigades de combat comme le défend Obama? Et comment les Etats-Unis pourraient-ils se permettre de prolonger indéfiniment cette occupation qui représente un gouffre humain et économique et provoque l’hostilité mondiale?

Le tableau général est trop sombre pour qu’une campagne électorale puisse l’éclairer. L’implosion du pays, la guerre civile, un trou noir qui servirait à abriter les mouvements terroristes… autant de scénarios d’après-guerre que tous les analystes s’accordent à envisager et qui rendent aujourd’hui un retrait mal géré au moins aussi risqué qu’une présence maintenue.

Il y a quelques jours, une proche de Barack Obama, Samantha Power, a été dégradée. Elle avait certes qualifié Hillary de «monstre», mais elle avait aussi suggéré que le calendrier de retrait d’Irak proposé par son poulain n’était qu’indicatif. Après les promesses de campagne, la réalité: cet aveu lui a coûté son poste.

Bush persiste et signe

L’Irak est un casse-tête. Et cela, même pour le républicain McCain qui se targue d’en connaître toutes les finesses et qui a choisi ce 5e anniversaire pour rendre visite aux troupes sur le terrain afin d’«occuper» par sa présence le champ électoral. Le vétéran, qui est de toutes les commissions internationales et de sécurité au Sénat, s’emmêlait grossièrement les pinceaux: «Al-Qaida retourne en Iran, s’y entraîne et revient en Irak à partir de l’Iran. Le fait est bien connu», expliquait-il. Al-Qaida est violemment sunnite, l’Iran chiite. Le sénateur Joseph Lieberman qui accompagnait McCain lui a murmuré quelques mots à l’oreille. «Je suis désolé, corrigeait le candidat: les Iraniens entraînent d’autres extrémistes, pas Al-Qaida»…

Au demeurant, entre l’Irak et l’économie, les électeurs américains ne doivent pas forcément choisir. Dans une étude publiée à l’occasion de cet anniversaire, le Prix Nobel Joseph Stiglitz et l’économiste Linda Bilmes se sont employés à traquer tous les coûts cachés de l’aventure irakienne (LT du 6 mars). Au-delà des aspects militaires à proprement parler, ils passent en revue d’autres conséquences, au premier rang desquelles l’augmentation du prix du pétrole, ou le traitement de dizaines de milliers de blessés de guerre. Bilan: 3000 milliards de dollars dépensés, pratiquement le double de ce que reconnaît le Congrès américain. «Aujourd’hui, le déficit de l’Amérique est tel qu’elle ne peut même plus sauver ses propres banques», estimaient les auteurs dans une interview.

Dans un discours au ton triomphaliste, George Bush expliquait néanmoins mercredi que le succès remporté en Irak après l’envoi de renforts justifie le haut coût humain et financier de la guerre. «Cela en valait la peine», commentait-il. Sans préciser toutefois s’il avait lu l’étude de Joseph Stiglitz.

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