Bin Laden, the Victor?

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Ben Laden, le vainqueur?

Benoit Aubin

Journal de Montréal

20/03/2008 09h40

Il y a des images qui resteront à jamais gravées dans la mémoire du monde, et aucune n’a mieux symbolisé la cuisante défaite de Goliath aux mains de David que cette photo d’hommes et de femmes se bousculant pour attraper le dernier hélicoptère à s’envoler de l’ambassade américaine à Saigon, alors que les troupes du Viet- Cong communiste déferlaient, victorieuses, dans les rues de la capitale du Sud Vietnam le 30 avril 1975…

Malgré une force économique et militaire infiniment supérieure, les États-Unis se retiraient en vaincus d’une guerre vicieuse qui les laissait démoralisés, honnis, humiliés, ruinés, au bord de la guerre civile…

Cependant, aujourd’hui, nous sommes forcés de revoir notre compréhension de l’histoire: le mouvement communiste n’existe pour ainsi dire plus nulle part, et le Vietnam est une trépidante fourmilière de libre entreprise, capitaliste à l’os.

Alors, qui a gagné la guerre du Vietnam et qui l’a perdue, vraiment?

On est obligé de s’en souvenir au cinquième anniversaire de la présence américaine en Irak – une guerre enfantée dans le mensonge et la propagande et qui, elle aussi, laisse les Américains démoralisés, perplexes, ruinés, divisés et de moins en moins populaires partout au monde.

Le géant américain voyait rouge au lendemain des attaques du 11 septembre 2001. Le plus grand pays du monde venait d’être attaqué – chez lui, pour la première fois – par une force insaisissable: al-Qaïda n’avait ni drapeau, ni territoire, ni gouvernement.

MACHINE DE PROPAGANDE

Ce détail ne résista pas longtemps à la formidable machine de propagande de l’administration Bush, qui avait besoin d’un ennemi bien identifiable. On inventa des armes de destruction massive cachées dans le désert de Sadam Hussein; on lui inventa une proche collaboration avec Oussama Ben Laden, on bouscula les Européens qui hésitaient avant de faire sauter la poudrière. Et, 18 mois après le 11 septembre, nous assistions tous, en couleur,

et en direct, aux explosions proprement terrifiantes des «bombes chirurgicales» – un autre mensonge – qui aplatissaient le centre de Bagdad.

Cinq ans plus tard, 160 000 militaires américains y imposent une «paix» qui n’en est pas une, ponctuée d’attentats et d’affrontements interethniques. Quatre mille Américains y ont laissé la vie, et une facture de guerre de près de 500 milliards a grevé le budget américain, saigné le dollar et propulsé le déficit national à 9 trillions de dollars.

La justification morale de la Maison- Blanche était de dire: libérons l’Irak de Saddam, instaurons-y la démocratie, puis retirons-nous. Le problème, c’est que le nouveau Parlement irakien est, lui aussi, paralysé par les dissensions interethniques qui ravagent le pays. Il n’a pas la crédibilité ni la force de gouverner ce pays désorganisé.

Il y a cinq ans, 73 pour cent des Américains appuyaient l’invasion de l’Irak; aujourd’hui, 61 pour cent pensent que le jeu n’en vaut plus la chandelle. En Europe, on compte les semaines qu’il reste encore au président Bush, espérant qu’il ne fera pas trop de dégâts avant de se retirer, en novembre. Que faire d’autre? Tout le monde a intérêt à laisser les Américains assumer cette catastrophe, sachant que s’ils se retirent trop brusquement, le conflit risquerait de se répandre à toute la région.

Il apparaît donc aujourd’hui que c’est Ben Laden qui a gagné la partie d’échecs: les États-Unis sont à genoux et lui n’a pas eu à faire la guerre.

Mais qui sait ce que sera l’avenir? Peutêtre qu’un jour les atours de la démocratie finiront par séduire les plus coriaces? Qui aurait cru, il y a trente ans, que le Vietnam serait un bastion de la libre entreprise?

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