Press in the Museum

<--

Un nouveau musée ouvre ses portes cette semaine à Washington : le Newseum. Ou Musée de la presse. C’est un énorme bloc de verre et de métal, que l’architecte a voulu transparent (comme la démocratie).

La façade a la forme d’un écran géant. Les 45 mots du premier amendement de la Constitution sont inscrits sur une page en marbre de 22 mètres de haut. Le premier amendement date de 1791. Pour la première fois, un gouvernement reconnaissait le concept de liberté de la presse.

Le Newseum a choisi d’ouvrir ses portes au pic de la saison touristique washingtonienne, quand les cerisiers du Japon sont en fleurs et que les écoliers viennent de tout le pays s’instruire sur leurs présidents et leurs institutions. Il s’est installé sur Pennsylvania Avenue, entre la Maison Blanche et le Capitole. Il a beau se revendiquer du premier amendement, il est difficile de l’inscrire dans la lignée des monuments nationaux.

C’est plutôt le Disneyland de l’info : hélicoptère suspendu à 20 m de haut, “mur de vidéos” de 27 m de long, projections en trois dimensions. Et contrairement aux musées de la Smithsonian Institution, il n’est pas gratuit (même si la fondation qui le dirige, Freedom Forum, est une entité à but non lucratif). L’entrée coûte 20 dollars, comme au Spy Museum voisin, le musée de l’espionnage, construit dans la même veine, mi-glorification de la CIA, mi-amusement pour enfants.

Le Newseum entend être un forum où le public et les médias peuvent parvenir à une “meilleure compréhension l’un de l’autre”. A cette fin, il présente 6 214 objets utiles. Cela va d’un véhicule blindé utilisé par Time Magazine en Bosnie à l’ordinateur de Daniel Pearl, le journaliste du Wall Street Journal assassiné au Pakistan, en passant par un morceau de l’antenne qui se trouvait sur la tour nord du World Trade Center le 11 septembre 2001, ou les pantoufles turquoise d’une des premières stars des blogs, Wonkette. En 2004, l’art de bloguer était surnommé “journalisme en pyjama” (d’où les pantoufles). Maintenant, les blogs s’apparentent plutôt aux sweat-shops du sous-continent indien. Cadences infernales, rémunérations étiques : le New York Times s’alarmait dimanche d’une série de crises cardiaques parmi les auteurs de blogs…

Les erreurs récentes des médias sont présentées avec beaucoup de pudeur par le Newseum. Les titres les plus idiots, collectés par la prestigieuse revue de l’école de journalisme de Columbia, ont été inscrits dans le carrelage des toilettes.

Et trois mini-films suffisent à résumer la question des sources anonymes, des affabulations et des problèmes factuels (“ceux qui horripilent le plus les gens : que l’on ne puisse pas épeler correctement leur nom”). Les commentaires sont dits par les vedettes de la presse nationale, qui font preuve de leur professionnalisme habituel. Le pour, le contre : tout le monde est mis sur un pied d’égalité (et personne n’est plus avancé). Le projet, qui coûte 450 millions, est largement financé par les médias eux-mêmes. Les principaux mécènes (New York Times, Bloomberg, Time Warner) ont des salles à leur nom.

La course à la guerre de 2002-2003 est traitée comme s’il ne s’agissait que d’un problème de sources et non la manifestation d’une absence générale d’esprit critique à une époque d’emballement patriotique. Judith Miller, l’enquêtrice du New York Times qui a beaucoup écrit sur les armes de destruction massive de Saddam Hussein, fait l’objet d’une vignette. “Quand les sources anonymes se trompent”. C’est tout pour l’Irak. Sauf à aller consulter la banque de données interactive qui accompagne le mur où sont inscrits les noms des journalistes tués en mission (1 800 tués depuis 1837). Une centaine d’Irakiens en font partie.

Le Newseum propose aussi un “centre d’éthique”. C’est un endroit de divertissement. On peut jouer au journaliste aux prises avec des problèmes déontologiques. Le visiteur doit répondre à des questions posées sur l’écran. Il faut aller vite, sauf à voir tomber la sanction : “You’re scooped !” Encore un scoop raté. Un confrère vous a grillé. Quelques exemples. “Un hold-up a été commis. La rédaction veut vous envoyer sur les lieux. Or votre baby-sitter figure dans les suspects. Vous en avertissez votre chef ?” Réponse : oui, cela vaut mieux. C’est un cas typique de conflit d’intérêts. Autre exemple : “Une star de rock annule un concert à cause d’un mal de gorge. Vous apprenez que la vraie raison est qu’il avait trop bu. Son agent vous supplie de ne pas nuire à sa réputation. Que faites-vous ?” Si vous décidez de ne pas publier, vous avez tort. “Le public s’attend à ce que vous disiez la vérité.”

Passons à M. le Maire. Un indiscret l’a filmé avec son téléphone portable alors qu’il chantait une chanson idiote. C’était dans une soirée privée. Peu importe, vous pouvez diffuser sans états d’âme : “Le maire est toujours une personne publique.” En revanche, si les enfants du commissaire de police affirment que leur papa dit souvent qu’il aimerait bien que les journalistes aillent au diable, pas question de publier. “Les enfants ne peuvent pas être tenus pour comptables de leurs propos.”

Mais si un acteur célèbre monte dans sa limousine et allume une cigarette alors qu’il vient de tourner une publicité antitabac, alors là, soyez ferme. “Il est une figure publique dans un endroit public.” Pas de pitié. Il ne faut pas confondre l’éthique et l’humain.

About this publication