Le 4 avril 1968, il était à ses côtés sur le balcon du Motel Lorraine, à Memphis, lorsqu’il fut assassiné par un repris de justice. Et, quarante ans plus tard, Jesse Jackson, increvable militant de la cause des Noirs, est catégorique: si le révérend Martin Luther King était encore vivant aujourd’hui, il appellerait à la fin de la guerre en Irak. Il exigerait le transfert des 1000 milliards de dollars qu’a coûtés le conflit pour mener une autre guerre, à la maison, contre la pauvreté. Il appellerait à l’application des droits civiques et des lois sur la propriété. Il réclamerait une assistance du gouvernement pour protéger les propriétaires dans la crise des prêts hypothécaires. Il pousserait pour l’égalité, pour une éducation de qualité et pour des soins de santé en faveur de tous les Américains.
Cette manière de décliner le message du Dr King en forme de programme politique ne doit bien sûr rien au hasard. Aux yeux de Jesse Jackson, le continuateur du rêve et de la lutte n’est autre que Barack Obama, le candidat métis à l’investiture démocrate, qui défend lui-même un programme similaire. Jamais peut-être l’Amérique n’avait connu pareil retour à cette figure historique. Martin Luther King est omniprésent, ces temps, dans le débat politique des Etats-Unis. Prix Nobel de la paix, figure centrale de la lutte contre la ségrégation, le révérend King a certes atteint depuis longtemps le statut de héros indépassable. Mais, aujourd’hui, suivi par des millions de personnes, rassemblant dans un même mouvement les Noirs et les Blancs, Barack Obama se pose de plus en plus explicitement comme une incarnation des mêmes valeurs et des mêmes espoirs.
Pourtant, jamais la ferveur qui pousse les Américains à vénérer Martin Luther King à travers Obama n’a dans le même temps paru si ambiguë. A la fin des années 60, c’est un autre pasteur, James Cone, qui inventait le concept de «Théologie de la libération noire». Aujourd’hui professeur à New York, Cone voit lui aussi une ligne directe entre les enseignements de Martin Luther King et les discours de Barack Obama. Mais cette ligne, explique-t-il, passe également par d’autres héritiers de la lutte contre la ségrégation que les Américains «ne veulent pas voir». «La seule option que nous avons en tant que Noirs, c’est de combattre par tous les moyens possibles, expliquait-il dans un texte devenu célèbre, afin que nous puissions créer une définition de la liberté basée sur notre propre culture. Nous ne devons pas attendre que cette liberté nous soit donnée par les Blancs. La liberté n’est pas un cadeau, mais une responsabilité.» Le ton est dur. Et, depuis quarante ans, il n’a jamais cessé de l’être. Parmi ces autres héritiers dont parle aujourd’hui le professeur Cone: Jeremiah Wright, cette figure de la Trinity Church de Chicago qui fut l’ancien pasteur d’Obama.
Passés en boucle sur les télévisions, les sermons enflammés du pasteur Wright ont scandalisé une bonne partie des Etats-Unis. L’homme mettait en avant la culpabilité de l’Amérique et de son «terrorisme d’Etat» pour expliquer les attaques du 11 septembre. Un message insupportable. Comme le furent, à l’époque, ces mots de Martin Luther King à propos d’une autre guerre, celle du Vietnam, dont il fut un opposant de plus en plus acharné et qu’il comparait presque à un châtiment: «Nous sommes des criminels dans cette guerre», expliquait-il à ses paroissiens en Alabama, quelques mois avant d’être assassiné. «Nous avons commis plus de crimes de guerre que pratiquement n’importe quelle autre nation dans le monde. Mais Dieu connaît le moyen de remettre les nations à leur place.» Une imprécation que n’aurait pas reniée le pasteur Wright.
Traditionnellement, c’est dans les Eglises, le seul espace de liberté accordé du temps de la ségrégation, que le bâton de pèlerin s’est transmis au sein des Noirs américains et que ce type de discours a continué de fleurir. De père noir et de mère blanche, Barack Obama s’en est nourri pendant des années. Mais ses origines métissées l’ont aidé à ne pas s’y laisser enfermer. Son intelligence et sa sincérité ont fait le reste: il y a deux semaines, le candidat démocrate tenait un discours fantastique qui soufflait même ses adversaires politiques les plus résolus. Il expliquait les motifs de son pasteur sans les justifier. Il les rendait sinon acceptables, du moins compréhensibles.
«Dans cette Eglise, disait-il en évoquant la Trinity Church, il y a toute la douceur et toute la cruauté, l’ardente intelligence et l’ignorance choquante, les luttes et les succès, l’amour et, oui, l’amertume et les préjugés qui forment l’expérience noire américaine.» C’était le discours d’une génération, ni plus ni moins. Le bilan sans fard d’une Amérique qui refuse de se pencher honnêtement sur les failles de son passé et sur ses injustices. C’était l’équivalent, plus de quatre décennies plus tard, du fameux «I have a dream» de son illustre prédécesseur.
Les injustices restent profondes. Selon une étude récente du Pew Research Center de Washington, le revenu médian des Noirs américains ne représente que 61% de celui des Blancs, et il est en baisse depuis une décennie. Seuls 20% des Noirs disent vivre mieux qu’il y a cinq ans (la proportion double au sein de la population blanche). Les Afro-Américains vivent en moyenne six ans de moins que les Blancs, et ils sont plus nombreux à être en prison qu’à fréquenter le collège. Une situation qui les rend particulièrement pessimistes: une nette majorité d’entre eux pense qu’il n’y aura pas d’amélioration pour eux dans un avenir prévisible. Au mieux, disent-ils, la situation ne sera pas pire qu’aujourd’hui.
Le rêve de Martin Luther King doit donc encore être réalisé. Mais, comme beaucoup d’autres, Jesse Jackson semble vouloir se laisser porter par l’espoir que soulève le candidat démocrate à l’investiture: «Barack Obama est en train de l’emporter en termes de délégués et de vote populaire. C’est une partie de la Terre promise que l’on entrevoit derrière le sommet de la montagne.»
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