Rebuilding the American Nation

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La campagne pour l’élection présidentielle américaine est décevante. Non pas à cause des personnalités en piste. Au contraire, elles sont riches, impressionnantes, largement plus profondes, en vérité, que celles qui se sont affrontées en Europe ces derniers temps. Non pas parce que Mme Clinton va devoir se retirer. On le regrette, mais entre les deux prétendants démocrates, vu de France, il n’était pas évident de se prononcer.

Décevante parce que le fond n’y est pas. Pas encore, dira-t-on : il reste six mois jusqu’à novembre, le contenu des programmes peut redevenir important dans la course qui se joue aujourd’hui sur le caractère, l’âge, la couleur ou le sexe. Mais tel qu’il est engagé, et puisque les Etats décisifs seront ceux de la vieille ceinture industrielle (de la Pennsylvanie au Wisconsin), on redoute que le combat ne continue sur son actuelle mauvaise pente, celle du populisme.

Hillary Clinton et Barak Obama sont tombés dans la surenchère protectionniste dès lors qu’il a fallu emporter le vote des cols bleus. Haro sur l’accord de libre-échange avec le Canada et le Mexique : il serait facteur de délocalisations. John McCain, longtemps silencieux en matière économique – ce n’est pas son terrain d’origine -, a pris la parole pour proposer de supprimer cet été les taxes sur l’essence afin de soulager les ménages. Mme Clinton a, hélas, renchéri sur cette proposition à 1 000 % démagogique.

La déception est à la mesure de l’espoir, qui est grand : voir l’Amérique réinventer un modèle de société unie pour le XXIe siècle. “Les Américains veulent reconstruire la nation, résume Thomas Friedman, éditorialiste du New York Times. Nous avons perdu de notre puissance ces dernières décennies, et les valeurs de nos parents, le travail dur, l’étude, l’épargne, l’investissement, la vie selon ses moyens, ont été adoptées par les Asiatiques, tandis qu’ici, elles cédaient le pas devant les valeurs des subprimes.” Les Américains rêvent qu’un terme soit mis à la longue dérive vers l’égoïsme, l’injustice sociale, la mauvaise qualité des infrastructures et la restriction des droits civiques, dont l’ère Bush aura été le paroxysme.

Moral au plus bas à cause des crises immobilière, financière et des échecs en Irak, l’Amérique est à un tournant. Il y a trente ans, elle engageait la révolution libérale reaganienne, et elle a bénéficié, depuis, d’une économie brillante, tirant les meilleurs profits de la technologie, de l’immigration et de la mondialisation. Mais, aujourd’hui, les institutions sociales sont mises à mal au point de mettre en péril le rêve américain lui-même : la possibilité donnée à tous de réussir. Le salaire médian ne progresse plus, les fruits de la croissance ne sont plus partagés, la classe moyenne est poussée au-dehors de l’ascenseur social.

La rhétorique est là chez Barack Obama, qui vante un nouvel idéal, comme chez John McCain. Les thèmes abordés sont les bons, mais ce sont les contenus concrets des réponses qui font défaut, sauf à verser dans la démagogie, comme si la solution au post-libéralisme se trouvait dans un retour aux années 1960.

1. La crise des subprimes éclaire la nécessité de sauver les 4 millions de ménages surendettés (sur les 55 millions qui ont contracté un crédit immobilier). Mais elle souligne surtout l’urgence de trouver un autre moteur de croissance que l’endettement. Lequel ? Les Etats-Unis vont-ils devoir connaître une période assez longue de faible croissance, du type de celle de l’Union européenne ?

2. La taxe sur l’essence soulève le problème, beaucoup plus large, de l’évolution du pouvoir d’achat et de la force redistributive de l’impôt. L’Amérique doit-elle réhabiliter l’impôt afin de commencer à resserrer les inégalités et de relancer les dépenses d’infrastructure (routes et ponts, qui sont tiers-mondisés) ?

3. La Sécurité sociale. Mme Clinton et M. Obama projettent de mettre en place une couverture maladie pour les 47 millions d’Américains qui en sont privés. Parallèlement, les grands groupes automobiles ne peuvent plus assurer la retraite de leurs anciens salariés. La question plus large est celle de l’Etat social et du réglage du curseur entre assurance privée et couverture publique.

4. Les cols bleus des anciennes industries. Comment éviter que les candidats, mais aussi de nombreux élus à Washington, ne cèdent à la tentation protectionniste ? L’Amérique répond par la mobilité : les chômeurs peuvent refaire leur vie dans les Etats du Sud florissants. Est-ce encore une réponse suffisante ?

5. Pour se différencier lors des primaires, les candidats ont attisé les rivalités entre les catégories, les jeunes et les vieux, les ouvriers et les diplômés, les femmes et les hommes, les Blancs et les Noirs, etc. L’impression donnée par ce clientélisme est celle d’un combat sans merci pour le partage du gâteau social. Est-ce inévitable ? Existe-t-il un nouveau partage des gains de la croissance ?

John McCain n’a encore donné que très peu d’indications sur sa politique économique et sociale. Barack Obama est resté très vague derrière un verbe idéaliste. Le choix américain sera en tout cas suivi de très près, ici, en Europe, où la classe politique de droite comme de gauche n’est guère plus avancée sur cette même interrogation : comment reconstruire la nation ?

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