Black

<--

La couleur de la peau n’est pas un programme. Barak Obama est plutôt bel homme, avec un sourire qui, dit-on, fait craquer, une éloquence qui entraîne, une femme charmante, des millions de dollars collectés par une armée de bénévoles. Il a su, retenant sans doute, sur ce point, les leçons de Martin Luther King comme de Nelson Mandela, s’adresser tout autant à l’Amérique blanche qu’à l’Amérique noire. « I have a dream. » Ces paroles du pasteur assassiné sont un bien commun de la conscience humaine, comme celles de Mandela s’adressant au président de Klerk pour en finir avec l’apartheid depuis son bagne de Long Island : « Monsieur De Klerk, nous avons un problème commun. » Barak Obama a, semble-t-il, réussi cela et sera peut-être, pour cela entre autres, le prochain président des États-Unis.

La couleur de la peau n’est pas un programme, mais la désignation du sénateur de l’Illinois, né d’un père kényan et d’une mère née au Kansas, comme candidat du Parti démocrate à la présidence de la première puissance mondiale est un événement considérable et son élection ferait date dans l’histoire des hommes, pas seulement aux États-Unis. Il y a à peine un demi-siècle une femme noire, Rosa Parks, refusant dans un bus d’Atlanta de céder sa place à un Blanc, était à l’origine du mouvement des droits civiques. Au cinéma, Scarlett, la charmante Scarlett d’Autant en emporte le vent, grondait sa fidèle esclave noire en souriant : « Attention, tu vas avoir le fouet… – Oh non, mâme Scarlett. »

Combien de terribles bûchers allumés par le Ku Klux Klan, combien de pendus, de torturés, combien d’hommes et de femmes enchaînés pendant des siècles, entassés à fond de cale, enregistrés dans les livres du commerce comme de la marchandise, soumis dans les plantations à tout ce que l’homme peut imaginer de pire quand il veut se persuader lui-même que l’homme, la femme, l’enfant esclave n’est pas son prochain mais sa chose ? Longtemps, les Noirs n’eurent pas d’âme.

Aux jeux Olympiques de 1968 à Mexico, l’image de deux athlètes noirs sur le podium levant leur poing ganté fit le tour du monde, mais plus jamais il ne purent revenir sur un stade. Les Noirs, d’esclaves, sont devenus boxeurs, coureurs de cent mètres, jazzmen, car on leur a concédé « le sens du rythme », acteurs, parfois dans des rôles de pitres. Président des États-Unis, pas encore. Peut-on mesurer seulement, aujourd’hui, ce que cette élection représenterait pour des millions de jeunes dans les villes américaines et dans les nôtres, dans les pays d’Afrique sous le joug de la dette ? Ce que représenterait, dans le monde, la levée de ce que l’on pourrait appeler la malédiction noire, tant elle a marqué de ses stigmates les consciences et dont il faut se souvenir qu’elle ne fut pas divine, mais raciale et économique. Dans le monde entier, les fillettes noires, en général, préfèrent en cadeau des poupées blanches et blondes. Et si cela changeait ?

Mais la couleur de la peau, il est vrai, n’est pas un programme. Les démocrates américains sont parfois plus à droite que la droite française. Les propositions d’Obama, cependant, ne se confondent pas avec celles de McCain. Assurance maladie universelle, hausse des impôts pour les plus riches… Il ne met pas en cause le capitalisme, c’est sûr. Sommes-nous mieux lotis ? En politique étrangère par ailleurs, certaines de ses positions récentes inquiètent.

Jean-Luc Godard disait un jour en, substance, qu’il croirait à la diversité culturelle lorsqu’il aurait la possibilité de détester un mauvais film turc, d’Azerbaïdjan ou d’on ne sait où au même titre qu’un mauvais film américain. Peut-être pourrons-nous croire à un certain progrès dans l’histoire humaine quand nous pourrons critiquer, s’il le faut, la politique d’un président noir avec la même force que celle d’un président blanc.

About this publication