McCain and Obama: The Keys to the Finale

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our la première fois dans leur histoire, les Américains doivent faire un choix entre deux originaux pour gouverner leur pays. L’originalité du candidat républicain John McCain tient à son caractère, celle du candidat démocrate Barack Obama découle de son parcours personnel.

Le qualificatif sur McCain qui revient le plus souvent dans la bouche des Américains est «maverick», mélange de forte tête, d’anticonformisme, d’indépendance d’esprit. Le mot est aujourd’hui plutôt élogieux. Forte tête et courageux, McCain le fut dans sa prison de Hanoï : hostile à tout régime de faveur, le pilote de l’aéronavale refusa la libération anticipée que lui offrirent ses geôliers vietnamiens lorsqu’ils s’aperçurent qu’il était le fils de l’amiral commandant toutes les forces du Pacifique. Son anticonformisme, le capitaine de vaisseau McCain le montra lorsqu’il refusa sa promotion au rang de contre-amiral que lui proposait le secrétaire à la Marine. Il était à l’époque l’officier de liaison de l’US Navy au Sénat. Plutôt qu’une carrière militaire toute tracée, la même que celle de son père et de son grand-père, l’officier choisit de se lancer dans l’aventure de la politique. L’indépendance d’esprit, il la montra au Sénat, où il ne se comporta jamais en apparatchik du Parti républicain. Il lui arriva souvent de soutenir une proposition de loi démocrate : qu’elle fût bonne pour le pays lui suffisait. En 2002, il fit tandem avec le sénateur démocrate Feingold pour faire passer une loi qui allait révolutionner le financement des campagnes électorales, en plafonnant drastiquement le montant des contributions individuelles. Pour cela, il prit le risque de déplaire aux milieux du «Big Money» au sein de la mouvance républicaine.

Aux yeux de l’Américain moyen, la biographie du candidat Barack Hussein Obama apparaît comme trois fois originale : il est métis, son nom ne sonne pas américain, c’est un intellectuel issu des milieux progressistes des universités de la côte Est. Mais, doté de facultés d’adaptation exceptionnelles, il a su ne jamais se laisser enfermer dans une catégorie ou une communauté particulière. C’est l’enfant surdoué d’une Amérique qui lui a tout donné, et à qui il ne cesse d’exprimer publiquement sa reconnaissance. Ni par sa naissance (d’un père kenyan, musulman non pratiquant, et d’une mère blanche progressiste agnostique du Kansas), ni par son éducation, ni par son idéologie personnelle, Obama ne se rattache à la culture revendicative des ghettos noirs américains. Loin d’être un communautariste, c’est un homme politique intégrationniste. Il s’est toujours montré réservé à l’égard des pratiques de «discrimination positive» fondées sur la seule couleur de peau. Obama est aussi fier d’être américain que peut l’être McCain. Lorsqu’il était étudiant à Columbia, il a beaucoup lu saint Augustin, pour décider ensuite de devenir chrétien. Dans la famille Obama, on prie avant de passer à table.

Sens du sacrifice

Personnalités originales, les deux candidats incarnent le sens du sacrifice pour le bien commun qu’attend l’électorat américain chez tout postulant à la fonction suprême. Ils représentent chacun une part de l’idéal américain. McCain, c’est le héros de guerre, le soldat prêt à sacrifier sa vie pour son pays. Obama, c’est l’avocat diplômé de la meilleure faculté de droit des États-Unis (la Harvard Law School) qui a dédaigné l’argent pour se consacrer au développement d’un quartier pauvre de Chicago.

Aujourd’hui, les deux candidats sont à égalité dans les sondages d’intentions de vote. C’est un paradoxe car les lois de l’alternance, dans un pays où 80 % des sondés se disent mécontents de la voie suivie par l’administration actuelle, devraient profiter à Obama, qui a fait du «changement» son slogan, et dont les lieutenants répètent à l’envi que «voter McCain, c’est prolonger Bush de quatre ans». La réalité est que la formidable machine électorale d’Obama paraît grippée. Malgré sa puissance financière (plus de 400 millions de dollars récoltés) et humaine (plus d’une centaine de milliers de jeunes militants bénévoles à travers le pays), elle ne semble toujours pas embrayer sur le pays réel. Avoir été pendant dix-huit mois le chouchou des médias commence à desservir Obama. Sa candidature est victime d’un effet «ras-le-bol». Dans un récent sondage portant sur la campagne électorale en général, 76 % des personnes interrogées disaient avoir surtout entendu parler d’Obama, contre 11 % pour McCain. Ils étaient 48 % à se plaindre d’avoir trop entendu parler du candidat démocrate et 22 % disaient qu’ils en avaient conçu une opinion moins favorable. L’Américain moyen s’est lassé de voir, soir après soir au journal télévisé, le beau, le jeune, l’élégant Obama s’adresser à des foules en extase, en leur répétant toujours le même slogan très général «Yes, we can !» – « Oui, nous pouvons !» (changer le pays, NDLR).

Aveuglé par une couverture médiatique enthousiaste, l’état-major d’Obama est tombé dans le piège du star-système. McCain a marqué un point quand il a dit que son rival était prêt «à perdre une guerre pour gagner une élection», faisant allusion à la proposition d’Obama de retirer les troupes américaines d’Irak dans un délai de seize mois. Le candidat républicain ne fustigeait pas seulement l’irréalisme et la démagogie de son adversaire. Il a également réussi à faire passer un message clair aux électeurs : voter McCain, c’est mettre les intérêts du pays en premier ; voter Obama, c’est mettre les intérêts d’Obama en premier.

Les folies de Wall Street

Le candidat démocrate, qui a passé quelques jours de vacances en famille à Hawaï, a tout le temps pour réfléchir à la manière de faire rebondir sa campagne. Il sait que les électeurs noirs et hispaniques lui sont acquis, mais qu’il lui reste à emporter l’électorat blanc centriste («indépendant», dit-on ici).

L’Amérique est une nation où le patriotisme est encore roi. The New York Times, le grand quotidien de centre gauche, vient par exemple de publier l’intégralité des photos des 500 soldats américains morts en Afghanistan. De nombreuses voitures portent un sticker «Pray for our troops». Obama sait qu’il devra faire un effort sur ce terrain-là. La semaine dernière, sa femme, Michelle, est allée à la rencontre des épouses de soldats de la grande base de Norfolk. Le candidat démocrate devra aussi faire moins parler de lui et plus de son programme. Quid de l’assurance-maladie, de l’éducation, de la crise du crédit, du déficit budgétaire, du prix de l’essence à la pompe ? Pour cela, Obama ne devrait pas avoir de problèmes : il a réussi à s’entourer des meilleurs experts du pays.

En matière de programme, McCain part avec du retard. Son problème est de se distancier de l’administration en place. La désinvolture montrée par le tandem Bush-Cheney à l’égard de la Constitution et des principes fondamentaux du droit a profondément choqué les Américains, légalistes forcenés. La pratique de la torture dans les interrogatoires militaires au nom de la «Guerre au terrorisme» a été, ici, très mal reçue.

McCain ne pourra pas se contenter d’un programme économique conservateur classique, fondé sur l’efficacité supposée d’une baisse des impôts et sur le credo éculé du «moins d’État possible». Les folies de Wall Street ont remis l’intervention de l’État et la nécessité de davantage de régulation au goût du jour. Les Américains ont, par ailleurs, honte de l’état de délabrement de leurs infrastructures. À la Nouvelle-Orléans, défigurée par le cyclone Katrina, des stickers demandent avec humour : «Lorsqu’on en aura fini avec la reconstruction de l’Irak, pourra-t-on songer à restaurer notre ville ?»

Idéologiquement, McCain n’est d’ailleurs pas un reaganien. Son modèle affiché de président républicain est Theodore Roosevelt. Ce dernier ne fut pas seulement l’homme du «Bick Stick» («gros bâton») en politique étrangère (comme McCain a promis qu’il le serait, en proposant notamment l’exclusion de la Russie du G8). Il créa l’impôt sur les successions, réglementa Wall Street, nationalisa des millions d’hectares au profit des parcs nationaux : en fait, il fut le premier président progressiste du pays (1901-1909). Reprenant à son compte une citation célèbre de Roosevelt, McCain confia la semaine dernière à un journaliste du Washington Post : «Le capitalisme débridé conduit tout droit à la corruption du système. On vient de le voir avec la crise du subprime.» Dans son livre Worth the Fighting For («la vraie querelle qui vaille»), publié en 2002, McCain écrit : «Un bon gouvernement ne saurait se dérober à son devoir d’incarner la plus haute expression de la volonté nationale, et le dernier rempart face aux assauts contre nos idéaux fondateurs», à savoir la liberté et l’égalité des droits.

Dans les trois débats télévisés qui auront lieu en septembre et octobre entre les deux candidats, McCain ne pourra se permettre de venir sans proposition concrète sur l’éducation (le point fort de la campagne d’Obama). Le niveau scolaire des écoles et des collèges publics dans les quartiers défavorisés n’a jamais été aussi bas. Celui des universités est bien meilleur, et leur accès bénéficie d’un efficace et généreux système de bourses. Le problème est que l’égalité des chances a été torpillée bien avant l’âge de l’entrée à l’université.

De l’avis de tous les commentateurs, ce sont ces trois débats qui départageront les candidats, bien plus que leurs discours à leurs conventions respectives. L’intuitif McCain y arrivera avec l’avantage de son caractère, plus chaleureux que celui du stratège froid, prudent, et trop «ficelle» Obama. Mais ce dernier y arrivera avec un programme économique et social plus solide. Le défi pour Obama sera de montrer qu’au-delà de son intelligence et de sa jeunesse, il a aussi du cœur et du caractère. Le défi pour McCain sera de montrer qu’il a bel et bien un programme, capable de relancer l’Amérique, chez elle et dans le monde.

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