Nothing Has Changed Since Katrina

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Il y a les hôtels trois étoiles, les une étoile et les centres d’hébergement de la Croix-Rouge. Les premiers, chers, sont plutôt occupés par des Blancs. Les deuxièmes et les troisièmes essentiellement par des Noirs. Lundi 1er septembre, la Louisiane dénombrait 2 millions de déplacés. Ici, à Lafayette, quatrième ville de Louisiane, 11 0000 habitants, qui en a accueilli en un week-end 50 000 avant le passage de l’ouragan Gustav, aucun hôtel n’a baissé ses tarifs en ces circonstances exceptionnelles.

“Rien n’a changé depuis Katrina”, dit Bill Boudreaux, 50 ans, un comptable qui vit à Thibodaux, à 100 km de la Nouvelle-Orléans. “Cette fois, le gouverneur et les municipalités ont pris les devants. Mais dans ces moments-là, la différence entre richesse et pauvreté apparaît la plus crue.” Pauvres ou plus aisés, tous racontent la même histoire. Certains se souviennent du cyclone Andrew, en 1992. Ils ont connu Lily, en 2002, puis “le pire”, Katrina, en 2005. Tous, cette fois, sont partis “avant Gustav”. Ceux rencontrés évoquent le sentiment d’abandon qui les avait saisis il y a trois ans et espèrent que les dégâts n’atteindront pas la même dimension. Même si Bobby Jindal, le gouverneur républicain de Louisiane, les prévoit “très importants”. Et très vite, tous évoquent leur bête noire : les compagnies d’assurances. L’après-Gustav en dépend. Et l’expérience leur fait craindre le pire.

“Durant Katrina, notre toit s’est envolé, dit Joseph Milton, 50 ans, chauffeur livreur à Franklin, sur le golfe du Mexique. L’assurance m’a reproché une toiture inadaptée aux vents violents. La maison était inhabitable, j’ai dû acheter un mobil-home.” Il dit avoir perdu au bas mot 30 000 dollars. Il était parvenu à se reloger et voilà qu’à nouveau, il laisse tout derrière lui. “Je prie”, poursuit-il, parce que sa petite maison est bien moins solide que celle qu’il a déjà perdue une fois.

Déplacée au Texas en 2005, Eunice Amedee, 65 ans, institutrice à la retraite à la Nouvelle-Orléans, avait retrouvé sa maison dévastée. Avec ses économies et le “presque rien” alloué par l’assurance, elle a fait confiance à un entrepreneur pour la réhabiliter. “Au téléphone, il me disait que les travaux avançaient. Réfugiée chez un cousin, loin de la ville, sans moyen de transport, je ne pouvais pas vérifier. En réalité, il ne faisait rien.” Un marlou parmi d’autres qui ont profité de la crédulité des sinistrés. Il lui a pris “presque 100 000 dollars, dit-elle, une vie de travail”. L’hôtel très bas de gamme où elle a trouvé refuge, elle le paie de sa poche. Comme M. Boudreaux, qui, plus fortuné, est mieux logé. Mais sa police d’assurance “ne couvre pas ce type de dépense exceptionnelle, sauf si j’étais parti après que ma maison eut été détruite”. Il ajoute : “Si je dois rester cinq nuits, j’en serai de 1 000 dollars, ce n’est pas rien.” Dwayne Toups, cuisinier, 42 ans, pensait rester dans la bourgade où il vit, Abbeville. Puis la peur l’a emporté. Il était midi lorsqu’il est entré dans Lafayette, parmi les tout derniers. Dans une ville morte. Aéroport fermé dès dimanche, comme tous ceux de l’Etat. Transports routiers interrompus. Joey Durel, le maire, avait décrété le couvre-feu de l’après-midi au mardi matin. Intention louable mais inutile : plus personne ne s’aventurait dans les rues jonchées de débris et de feuillages depuis la veille. Sur la bande FM locale, une chaîne de grande distribution vantait ses “offres spéciales : faites trois jours de stocks, quatre si vous le pouvez”. Mais ici, magasins, stations d’essence, restaurants, aucun n’avait ouvert.

Après une matinée d’attente, ciel touchant terre, pluie fine constante, l’ouragan est arrivé avec une puissance déclinante – à 145 km/h “seulement” – mais dans un tourbillon se déplaçant au ralenti, donc plus dangereux. Il a atteint son acmé vers 16 heures, coupant par moments l’électricité sur la ville, et définitivement l’accès à la télévision. En soirée, il baissait nettement d’intensité. Mais les pouvoirs publics, craignant plusieurs jours de fortes précipitations, insistaient pour que les déplacés attendent avant de rentrer chez eux.

Bill Boudreaux attendra. Il a pris avec lui son ordinateur : accessoirement, il écrit. Son troisième roman doit paraître dans deux mois. Il s’intitule Le Fou de la Nouvelle-Orléans. Il y sera question de la petite criminalité qui s’était emparée de la ville il y a trois ans et des internés psychiatriques, errant à l’abandon. “Le traitement des déshérités, des déshumanisés, c’est à cela que l’on juge une société”, dit-il. Cette fois, ces images de désolation n’ont pas submergé les écrans. Les déplacés admettent que les pouvoirs publics ont “anticipé”.

Clarence Ray Nagin, maire démocrate de la Nouvelle-Orléans, a même accéléré la panique en annonçant “la mère de tous les ouragans”. Le gouverneur, Bobby Jindal, a multiplié les interventions sur le terrain et les “points médias”. Il a appelé la Maison Blanche à puiser dans les réserves stratégiques de pétrole pour garantir l’approvisionnement en carburant de son Etat. La venue du candidat républicain, John McCain, a été appréciée. “Katrina hante les élus américains, dit M. Boudreaux. Aucun ne veut plus se retrouver accusé de négligence.” Reste, parmi les déplacés, un sentiment mélangé d’injustice et de fatalisme. Brandon Kays, 23 ans, sans emploi, a perdu sa “petite maison” il y a trois ans. “C’est une malédiction. Bush habite dans l’Etat voisin [le Texas], pourquoi ça ne lui arrive jamais, ce genre de truc ?” Joseph Milton : “Ces cataclysmes surviennent maintenant trop souvent.” Il y voit l’effet du réchauffement climatique. “Les saisons sont bouleversées. Il fait de plus en plus chaud en Louisiane, les averses y sont plus fortes, les vents aussi. Et ça, personne n’y pourra grand-chose avant longtemps.”

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