Ted Kennedy, the Old Lion Who Never Dies

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Ted Kennedy, le vieux lion

qui ne meurt pas

De notre correspondant à New York, Jean-Louis Turlin

26/08/2008 | Mise à jour : 20:10 | Commentaires 3 .

Ted Kennedy a bravé les avis contraires de ses médecins et de sa famille pour faire une apparition héroïque, lundi, lors de la convention démocrate à Denver, où il a défendu l’accès à la santé, l’un des thèmes majeurs de la campagne électorale américaine. Crédits photo : AFP

Opéré d’une tumeur cancéreuse au cerveau en juin, le « patriarche » du clan veut vivre pour voir Barack Obama devenir le président qu’il a lui-même rêvé d’être. Son intervention à la convention de Denver a bouleversé les démocrates.

Ted Kennedy tel qu’en lui-même : l’adversité le transcende… «Rien, rien ne va me tenir éloigné de ce rassemblement spécial.» Ces mots ont fait couler beaucoup de larmes lundi soir à la convention démocrate de Denver. Rien ne peut l’empêcher d’assister au sacre de celui qu’il a voulu faire roi. Même pas sa grave tumeur cancéreuse au cerveau, découverte il y tout juste trois mois.

À peine remis de son opération, Ted Kennedy a fait, un mois plus tard, un retour triomphal au Sénat pour sauver, par son vote décisif du 9 juillet dernier, le financement de l’assurance médicale des retraités. À Washington comme à Denver, il a bravé les avis contraires de ses médecins et de sa famille pour faire une apparition héroïque au service de ce qui restera son grand combat pour l’accès à la santé l’un des thèmes majeurs de la campagne électorale 2008.

Barack Obama s’est engagé à poursuivre l’œuvre du sénateur Edward Kennedy, qui avait dû lui-même abandonner ses ambitions présidentielles après l’échec de sa course à l’investiture démocrate face au sortant Jimmy Carter en 1980.

Le dernier représentant de la génération mythique ou maudite du célèbre clan (un frère tué en mission pendant la guerre, deux autres assassinés) s’est rabattu sur son travail législatif, laissant un impressionnant bilan, salué par les républicains comme par les démocrates au bout de huit mandats consécutifs au Sénat.

«Ted, Ted, mon cher ami, je t’aime et tu me manques», avait dit à la tribune, les larmes aux yeux, le doyen Robert Byrd, 90 ans, dont 50 au Sénat, en apprenant le cancer de son «jeune» collègue de 76 ans. John McCain, le candidat républicain à la succession de George W. Bush, a beaucoup travaillé avec Ted Kennedy sur des textes «bipartisans» : «Il demeure à lui seul le plus efficace membre du Sénat si vous voulez obtenir des résultats.» Hillary Clinton semblait lui avoir pardonné de soutenir son rival Barak Obama pendant les primaires, en rendant hommage à «l’un des plus grands législateurs dans l’histoire du Sénat».

Toutes ces louanges glanées sur le tard ont fait oublier les ombres de sa vie personnelle, dont les écarts lui ont barré la route de la Maison-Blanche, un moment promise.

L’accident de Chappaquiddick mit un terme à ces espoirs : un soir de juillet 1969, la voiture du jeune sénateur quitta la chaussée reliant cette île à celle de Martha’s Vineyard, au large du cap Cod. La charmante secrétaire qui l’accompagnait, Mary Jo Kopechne, périt noyée et enterra avec elle l’avenir présidentiel de Ted qui, pour des raisons encore inexpliquées, ne lui porta pas secours et laissa s’écouler huit heures avant de donner l’alerte.

Habitués aux frasques éthyliques et galantes des Kennedy, les électeurs du Massachusetts passèrent régulièrement l’éponge sur l’étrange comportement qui valut à son auteur deux mois de prison avec sursis. Mais l’Amérique n’oublia jamais. Ted s’en aperçut onze ans plus tard en échouant face à Carter. Il avait sans doute laissé passer sa chance en 1968.

Le 5 juin de cette année-là, son frère Bobby était assassiné à Los Angeles au soir de sa victoire dans la primaire de Californie qui lui ouvrait une voie royale pour la nomination démocrate.

À la convention houleuse de Chicago qui allait désigner Hubert Humphrey face à Nixon, Ted fut tenté de reprendre le flambeau dont Bobby n’avait pu hériter, cinq ans après le meurtre de leur frère aîné, le président John Fitzgerald Kennedy, à Dallas en novembre 1963.

Mais à 36 ans, un an de plus seulement que l’âge légal pour être candidat, il ne se sentait pas prêt à affronter un défi à partager avec toute une famille qui avait déjà sacrifié trois de ses quatre fils.

Le premier, Joseph, que son père du même nom, ambassadeur à Londres, destinait à un grand destin, avait disparu en 1944 au-dessus de la Manche dans l’explosion de l’avion bourré de munitions qu’il pilotait.

Ted, le benjamin, n’avait pas été préparé à chausser les bottes de ses frères morts en héros. Il avait sans doute été inspiré par l’exemple des exploits de guerre de John dans le Pacifique lorsqu’il s’engagea pour quatre années en Corée. Mais il finit par se récuser et, grâce à son père, n’en passa que deux sous les drapeaux, confortablement installé dans les bureaux parisiens de l’ancien commandement suprême des puissances alliées.

C’est à sa famille, plus qu’à ses notes, qu’il avait dû son admission à Harvard, d’où il avait d’ailleurs été provisoirement expulsé pour avoir payé un étudiant chargé de passer un examen d’espagnol à sa place. La vie estudiantine de celui que ses camarades surnommaient «Cadillac Eddy» avait été ponctuée de contraventions fréquentes pour excès de vitesse, ainsi que de libations dont «Oncle Ted», bien des années plus tard, avait gardé le goût : en 1991, le sénateur fut appelé à témoigner en faveur de l’un de ses multiples neveux, William Kennedy Smith, accusé puis acquitté du viol d’une jeune femme après une soirée trop arrosée, «entre hommes» de la famille, dans un bar de Palm Beach.

Mais entre-temps, «Oncle Ted» avait admirablement épousé le rôle de «patriarche» qui lui fut imposé à la mort de Bobby, il y a quarante ans. Il fut un père pour les enfants de son frère, et le véritable pilier d’une famille accumulant les tragédies, la plus récente étant la mort de John Kennedy Junior, le fils de «JFK», dans l’accident de son avion au large de Martha’s Vineyard encore – en 1999.

Après une jeunesse insouciante, Ted avait vite été rattrapé par les responsabilités. Né en février 1932,

il n’avait que 28 ans lorsque son frère aîné John lui laissa son siège de sénateur du Massachusetts en entrant à la Maison-Blanche en 1960. Ted dut attendre d’avoir l’âge légal de trente ans pour prendre le relais du suppléant provisoire. Depuis 1962, il est l’un des trois seuls sénateurs à avoir voté plus de 15 000 textes.

Toutes ses prises de position n’ont pas été dans le droit-fil de sa réputation de «vieux lion libéral» (progressiste) : en bon catholique, Ted Kennedy fut longtemps opposé à l’avortement, avant de changer d’avis lorsque la Cour suprême l’autorisa en 1973. Mais ce privilégié a su rester fidèle à son image de meilleur ami des humbles, en se faisant le porte-parole de leur droit à la santé, à l’éducation, à un salaire minimum décent ou à une politique de l’immigration plus humaine. En politique étrangère, l’histoire retiendra qu’il fut en octobre 2002 l’un des vingt-trois sénateurs démocrates à voter contre la guerre en Irak.

La maladie, la souffrance physique et morale auront aussi révélé son courage. Ted Kennedy avait gardé des séquelles de ses graves blessures dans un accident d’avion privé en 1964, où un de ses collaborateurs et le pilote avaient trouvé la mort. Avant la détection de sa tumeur, il avait connu le cancer traité avec succès chez deux de ses trois enfants de son premier mariage avec Joan Bennett.

C’est bien dans son tempérament qu’il avait opté, le 2 juin dernier, pour une intervention chirurgicale à haut risque. Après l’opération de trois heures et demie qu’il avait subie éveillé, il avait appelé sa seconde femme, Vicky, au téléphone pour lui dire, toujours optimiste, qu’il avait hâte de guérir pour aider Barack Obama à conquérir la Maison-Blanche. Un vieux rêve par procuration, en quelque sorte. À Denver, toute l’Amérique s’est reconnue dans ses paroles sinon dans sa cause : «L’espoir renaît. Et le rêve continue.»

» VIDEO – Ted Kennedy : «L’espoir resurgit et le rêve se poursuit»

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