L’analyse de Pierre Prier, du 1er septembre
John McCain a-t-il réalisé un coup politique brillant ou commis une grosse bourde ? Les raisons de son choix surprise de Sarah Palin, gouverneur de l’Alaska et inconnue politique, paraissent évidentes. Âgée de 44 ans, Sarah Palin apporte une touche de jeunesse bienvenue, aux côtés d’un McCain âgé de 72 ans. Femme, elle pourrait rallier les démocrates déçues par l’échec de Hillary Clinton.
Issue d’une «middle class» laborieuse, la candidate à la vice-présidence est censée faire pièce à un Obama jugé élitiste. Elle peut aussi, à l’intérieur de son propre camp, corriger l’image d’un McCain patricien, époux d’une riche héritière, qui a récemment déclaré «ne pas savoir» combien de maisons il possédait (sept, apparemment).
Sarah Palin rapprocherait en outre McCain de la puissante frange conservatrice religieuse, décidée à interdire l’avortement et hostile au mariage des homosexuels. Cette «mère ordinaire» qui a refusé d’avorter de son dernier fils, trisomique, met en avant sa foi religieuse, un plus supposé dans un pays où la grande majorité des citoyens se disent croyants.
Enfin, Sarah Palin se présente comme une rebelle, décidée à lutter contre le clientélisme et l’establishment de son propre parti et des «réseaux d’anciens des grandes écoles», qu’elle a dénoncés dans son discours. N’a-t-elle pas, en Alaska, combattu la corruption et poussé à la démission des hommes politiques malhonnêtes ?
Mais tous ces arguments peuvent aisément se retourner contre McCain et sa coéquipière. Le candidat républicain s’est peut-être privé lui-même de son principal argument contre Barack Obama, «pas prêt», selon lui, à exercer la fonction de chef de l’État, en choisissant une femme sans expérience, élue il y a un an et demi gouverneur d’un petit État excentré après avoir été maire d’une ville de 9 000 habitants. L’âge de John McCain ne rend pas invraisemblable une succession à chaud. Et d’imaginer l’ex-maire de Wasilla obligée de négocier avec Vladimir Poutine dans une crise internationale
La nomination surprise elle-même peut mettre en lumière le caractère impulsif du candidat à la présidence, connu pour ses colères et son émotivité. Quant au choix d’une femme, il peut être jugé démagogique par nombre d’Américaines, dans un pays où, comme le montrent les enquêtes d’opinion, les femmes se déterminent d’abord par rapport au programme, et non au sexe des candidats. Les électrices de Hillary Clinton étaient sans doute plus sensibles à son plan pour la couverture sociale universelle qu’à son identité. Et les options de Sarah Palin sur la société, si elles sont appréciées à droite, restent minoritaires, tels l’enseignement des théories créationnistes à l’école publique ou l’interdiction de l’avortement, refusée par une majorité d’Américains.
Son image d’incorruptible, elle aussi, risque de ne pas durer. Elle est sous le coup d’une enquête officielle pour avoir – ce qu’elle nie – révoqué un responsable sécuritaire qui aurait refusé de renvoyer de la garde nationale l’ex-époux de la sur de son mari après un divorce difficile. La presse américaine a déjà débarqué en masse en Alaska. La vérité, c’est que Sarah Palin reste une inconnue. Elle semble douée de talent politique, mais son discours, plein de formules frappantes, a été écrit par le «nègre» de John McCain. La première épreuve du feu ne va pas tarder.
Demain, Sarah Palin va affronter Joe Biden, son homologue démocrate, dans le «débat des vice-présidents». Le sénateur d’expérience, président du comité des affaires étrangères du Sénat, doit se lécher les babines à l’avance. Et sans doute se souvenir de son prédécesseur Lloyd Bentsen, qui mangea tout cru l’inexpérimenté Dan Quayle, sélectionné pour sa jeunesse et son conservatisme par George Bush père en 1998. Mais c’était Bush qui avait gagné. Peut-être que le choix du vice-président n’est pas si important, après tout.
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