Chronique
Chez les McCain, le “boss” c’est elle, par Corine Lesnes
LE MONDE | 03.09.08 | 13h40
lle est si fragile qu’un supporter lui a endommagé le poignet rien qu’en lui serrant la main. Depuis, elle porte un plâtre rose fluo, qui monte jusqu’à l’avant-bras comme un gant de cérémonie. De l’Ohio au Minnesota, Cindy McCain arpente la campagne avec le même air de riche héritière égarée en politique.
Lundi, à l’ouverture de la convention républicaine, transformée en vaste opération de charité (et de rédemption pour le parti de George Bush), l’épouse du candidat républicain arborait son chic ordinaire : un rang de perles et une tenue de soie safran au col de princesse. Personne n’avait osé lui dire, apparemment, que la tenue de campagne, cette année, est le naturel, le passe-partout, le proche-des-gens, tout ce qui est susceptible de faire croire aux électeurs que le gouvernement est à eux, qu’ils pourraient même en être, voyez Sarah Palin, la gouverneure de l’Alaska ! Hier, elle tirait le caribou. La voilà qui prétend à l’Observatoire naval, la résidence officielle des vice-présidents américains, sur l’avenue la plus cossue de Washington !
A cause de sa taille, de sa blondeur et de ses tenues toujours parfaitement apprêtées, la gauche lui a décerné le surnom de “Barbie républicaine”. C’est très injuste. Certes, elle a dix-sept années de moins que son mari, mais elle avait une vie, et une fortune, avant de le rencontrer. Il lui doit sa carrière politique, et si elle le suit partout, en épouse appliquée, c’est pour faire plaisir aux conseillers en image. Elle n’a manifestement aucune envie de se mettre en avant, ni que la presse fouille dans sa vie compliquée.
Quand les Obama offrent le portrait conventionnel d’une famille américaine typique – une maison, deux enfants, un couple équilibré -, les McCain sont dans une catégorie à part. Cindy McCain est la fille d’un blessé de la seconde guerre mondiale, abattu dans son B-17 au-dessus de la Manche, rentré en héros au pays pour divorcer de la femme qui l’attendait, et se marier avec une autre. Cindy a elle-même épousé un héros de la guerre du Vietnam, abattu dans son Skyhawk au-dessus de Hanoï, qui a divorcé de sa première épouse à son retour. Le couple McCain a quatre enfants en commun, dont deux fils à l’armée. Le sénateur en a trois autres de son côté, dont deux adoptés. Quant à leurs propriétés, comment voudrait-on que le candidat se souvienne de leur nombre ? Tout est à Cindy. L’appartement d’Arlington, qu’il habite quand le Sénat est en session ; leurs appartements à Phoenix, à San Diego et à Coronado, en Californie, et leur ranch de Sedona, que traverse une rivière, en Arizona. Une dizaine de propriétés, en tout.
Quand il est rentré d’Europe en 1945, le père de Cindy, James Hensley a vendu de l’alcool au marché noir, échappé de peu à la prison et dirigé un champ de courses, avant de faire finalement fortune dans la distribution de bière. Quand il est mort, en 2000, Cindy a hérité d’une entreprise au chiffre d’affaires de 300 millions de dollars. Aux obsèques, elle a raconté comment son père avait réagi quand elle avait eu un accident avec la Porsche qu’il venait de lui offrir en cadeau de fin d’études : au lieu de se fâcher, il lui a offert une Mercedes. Quand elle a pris un emploi de prof dans une école défavorisée, et que sa voiture devenait un peu voyante, il a de nouveau compati (une Volkswagen). Aujourd’hui, Cindy conduit une Lexus, avec une plaque minéralogique “Ms Bud” (“Mme Bud”, comme la bière Budweiser). A moins qu’elle ne se déplace avec le jet de la compagnie (le sénateur, dans les moments les plus sombres des primaires, l’a aussi utilisé alors qu’il se défendait de jamais recourir à l’argent de sa femme).
Cindy Lou Hensley avait 24 ans quand elle a rencontré John McCain, qui en avait quarante-trois, lors d’un cocktail à Hawaï. Ils aiment à raconter comment ils ont tous les deux menti sur leur âge. Elle pour s’en donner trois de plus ; lui, quatre de moins. Il avait les cheveux entièrement blancs – un souvenir de la captivité au Vietnam – et plus de médailles que son père. Cindy l’a épousé en 1980, sous le régime de la séparation des biens. John a été embauché dans l’entreprise du beau-père, dont les relations l’ont propulsé dans la politique. Encore aujourd’hui, le couple fait des déclarations d’impôts séparées, et Cindy, qui l’avait toujours refusé, a finalement accepté d’en publier deux pages, mais elle répète sans arrêt qu’elle n’y est pas tenue.
Cindy McCain souffre du souvenir d’une affaire encombrante, qui remonte aux années 1990. Depuis une opération des vertèbres, Cindy prenait des médicaments antidouleur. Elle était devenue “accro”. Pour se procurer les quinze comprimés qu’elle prenait par jour, elle s’était mise à puiser dans le stock de médicaments de l’ONG qu’elle avait fondée. L’affaire s’est ébruitée lorsque le FBI a ouvert une enquête. Aujourd’hui, Cindy McCain donne rarement son avis sur le cours des choses, et pourtant, elle voyage beaucoup, du Rwanda au Vietnam, au nom de l'”Operation Smile”, une initiative humanitaire pour aider les enfants qui souffrent de bec-de-lièvre. Elle était au Bangladesh, en 1991, quand elle a rencontré la petite Bridget dans l’un des orphelinats de Mère Teresa. Elle a ramené la petite avec elle, pour la faire opérer, et, dans l’avion, elle a décidé de l’adopter. John McCain n’a été prévenu qu’après l’atterrissage. Il peut bien tenir des propos machos pendant la campagne… Cindy n’est pas Barbie.
Corine Lesnes
Article paru dans l’édition du 04.09.08
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