Quand le secrétaire au Trésor d’une administration républicaine finissante, Henry Paulson, demande au Congrès démocrate de lui voter 700 milliards de dollars (476 milliards d’euros) de crédits pour prendre en charge les “placements pourris” de Wall Street et éviter la paralysie du crédit, les deux candidats à l’élection présidentielle du 4 novembre, Barack Obama et John McCain, sont devant un dilemme : approuver le plan et être accusés de dépenser l’argent du contribuable pour sauver la mise à des banquiers emportés par leur frénésie de gains, ou bien s’y opposer et prendre la responsabilité de la catastrophe qui pourrait s’ensuivre.
La décomposition du système financier ramène l’économie au centre de la campagne électorale américaine, ce qui est considéré comme favorable aux démocrates. Les sondages le confirment : selon une enquête commandée par CNN, 47 % des Américains imputent la crise financière aux républicains, 24 % aux démocrates. M. Obama est jugé le plus capable de faire face à la crise par 53 % d’entre eux, M. McCain par 39 %, selon un sondage effectué pour le Washington Post et la chaîne ABC.
Plusieurs données concourent à décerner le blâme de la crise financière au parti qui tient la Maison Blanche depuis 2001 et qui a dominé le Congrès de 1994 à 2006. Les républicains ont adopté de nombreuses mesures de dérégulation, rendant possibles les opérations risquées dont les Américains paient aujourd’hui le prix. Une confiance exclusive dans le marché et dans les bienfaits de la recherche du profit est inscrite au credo du parti de la “révolution conservatrice”, qui a oeuvré, depuis le début des années 1980, pour alléger le poids de l’Etat, réduire les réglementations et étendre le champ de la concurrence. C’est ce qui fait dire à M. Obama que la crise financière est le produit de la “philosophie économique” à laquelle adhère M. McCain.
La déconfiture de Wall Street affecte aussi les débats sur la protection sociale. Les Américains doivent résoudre deux problèmes : le financement de leur régime de retraite par répartition, la Social Security, qui rencontre les difficultés que l’on connaît ailleurs en raison de l’allongement de la durée de la vie ; le renchérissement des assurances-maladie, qui deviennent inaccessibles pour un nombre croissant de salariés et dont sont privées quelque 40 millions de personnes. Dans les deux cas, le candidat républicain s’est prononcé pour le recours à l’épargne individuelle. Or, comme dit Neil Newhouse, spécialiste républicain de l’opinion publique, “la période est périlleuse” pour proposer quelque sorte de privatisation que ce soit.
Les démocrates promettent, eux, de maintenir le financement de la Social Security par l’impôt et de créer une assurance-maladie collective. Mais le coût des interventions du Trésor pour renflouer les établissements de crédit en perdition va réduire les marges de manoeuvre budgétaires du prochain président.
Dans un contexte financier volatil, et alors que le chômage augmente (6,1 % en août) malgré un taux de croissance supérieur à celui de l’Europe, les deux candidats prennent garde aux effets que leurs déclarations peuvent avoir sur les marchés. En outre, si la présidence est républicaine, le Congrès est, depuis presque deux ans, à majorité démocrate. M. Obama ne peut pas se dissocier des efforts entrepris par le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif pour parvenir à un accord qui circonscrive la crise du crédit et permette que l’économie continue à fonctionner.
M. McCain hésite moins à se démarquer de George Bush, en accusant la présidence qui s’achève d’avoir laissé s’installer à Washington le règne de l’affairisme et de la licence. Il a déclaré que, s’il était à la Maison Blanche, il mettrait à la porte le président de la Security and Exchange Commission – la SEC, gendarme de la Bourse -, Christopher Cox, ancien député républicain. Tout en disant du bien de M. Paulson, il s’est ému du pouvoir que le ministre des finances aura entre les mains si le Congrès lui vote ses 700 milliards. Newt Gingrich, ancien président de la Chambre des représentants, conseillait à M. McCain de refuser “le plan Bush-Obama”. Le sénateur de l’Arizona n’a pas suivi cet avis. Il a préféré jouer la carte de l’union nationale et offrir aux parlementaires républicains une couverture pour voter le plan, en demandant à M. Bush de réunir M. Obama et lui-même à la Maison Blanche.
CONNIVENCE AVEC WALL STREET
Le mandat des représentants étant de deux ans, tous reviennent devant les électeurs le 4 novembre, de même que le tiers des sénateurs. S’ils acceptent le plan, leurs mandants les féliciteront-ils d’avoir sauvé l’économie ou leur reprocheront-ils d’avoir accepté d’aller au secours des financiers aux conditions fixées par M. Paulson, lui-même ancien dirigeant de la banque d’affaires Goldman Sachs, et par Ben Bernanke, président de la Federal Reserve ?
Les démocrates veulent assortir le plan Paulson d’un dispositif de contrôle des opérations menées par le Trésor, d’une limite aux rémunérations des dirigeants des établissements qui bénéficieront de l’aide de l’Etat et de mesures en faveur des titulaires d’emprunts à taux variable, menacés de saisie parce qu’ils ne peuvent plus payer leurs mensualités. Certains d’entre eux estiment, en outre, que le Trésor devrait recevoir des actions des entreprises auxquelles il porterait assistance.
Une partie des républicains est tentée de se débarrasser du problème en accusant les démocrates de connivence avec Wall Street. N’est-ce pas sous la présidence de Bill Clinton que “l’exubérance irrationnelle”, selon la formule d’Alan Greenspan, s’était emparée des marchés ? M. Obama n’a-t-il pas reçu plus de contributions en provenance du secteur financier que M. McCain ? La révélation que le directeur de campagne du candidat républicain était payé comme lobbyiste par Freddie Mac, l’un des deux géants du crédit hypothécaire récemment nationalisés, a réduit l’efficacité de ce genre d’argument.
Le sujet n’est pas à l’ordre du jour du premier débat entre les deux candidats, dans la nuit du 26 au 27 septembre, heure européenne. Mais les Américains les regarderont s’affronter, sur la politique étrangère et la sécurité nationale, en se demandant auquel des deux faire confiance pour leurs emplois, leurs économies et leurs retraites.
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