Quand l’officialisation de la candidature de Barack Obama est tombée, mardi 4 juin 2008, la nouvelle a été immédiatement saluée comme “historique”. Deux cents ans après l’interdiction de la traite des Noirs, cent quarante-six ans après la signature de la proclamation d’émancipation des esclaves, quarante-cinq ans après le “rêve” du révérend Martin Luther King, les États-Unis ont prouvé qu’ils sont ce pays “où les gens ne sont pas jugés d’après la couleur de leur peau, mais d’après la qualité de leur personnalité”.
Fin août, le sénateur de l’Illinois, âgé de 46 ans, né d’un père africain et d’une mère américaine, devient le candidat démocrate à la présidentielle lors de la convention de Denver (Colorado). La symbolique puissante du moment, le délire enthousiaste des dizaines de milliers de partisans d’Obama rassemblés ont balayé toutes les autres considérations. “Amérique, notre heure est arrivée !”, a-t-il lancé, promettant de “changer Washington”.
Pourtant, en janvier 2007, quand il avait annoncé son souhait d’accéder à la présidence, personne ne donnait la moindre chance à ce “maigrichon au nom bizarre”, sans grande expérience après seulement trois ans passés au Sénat. Mais son appel au “changement” et ses talents d’orateur charismatique ont déclenché un mouvement de fond chez les jeunes et les militants démocrates, en même temps que la mobilisation massive des Noirs américains. Il a su capter le rejet profond de la politique de Bush, et organiser ce mouvement dans ce qu’il a lui-même salué mardi soir comme “l’organisation politique la plus efficace du pays”, alimentée par une fantastique machine à recueillir des fonds via l’Internet.
A distance des chantres de “l’identité noire”
Charismatique, le candidat est toujours aussi impressionnant de maîtrise de soi. Il engrange toujours plus d’argent dans ses coffres, et sa campagne fait pour l’heure un sans-faute, le propulsant vers la Maison-Blanche comme le moteur surpuissant d’une Formule 1 parfaitement rodée. Barack Obama est à la politique ce que Tiger Woods a été au sport. Le champion de golf (sport peu pratiqué par les Noirs américains) se proclame fièrement “cablinasien” – revendiquant ses racines caucasiennes (blanches), black, indiennes et asiatiques.
Surtout, le jeune sénateur de Chicago veille bien à prendre ses distances avec les chantres de “l’identité noire”, ce qui lui vaut d’ailleurs la méfiance d’une partie de la communauté afro-américaine (la moitié des Noirs interrogés estiment qu’il “ne partage pas (leurs) valeurs”). Il a eu des accrochages avec certains chefs de file historiques, et beaucoup plus “à gauche”, de la communauté noire. Le pasteur Jesse Jackson (qui fut lui aussi candidat à la candidature démocrate sans jamais approcher le succès d’Obama) lui aurait reproché de “se comporter comme un Blanc”. Andrew Young (ex-ambassadeur à l’Onu) a d’ailleurs plaisanté que l’ex-président Bill Clinton, natif de l’Arkansas, “est sans doute sorti avec plus de femmes noires” qu’Obama, qui a grandi entre Hawaï, l’Indonésie et l’université de Harvard, et qui n’a jamais connu la période de confrontations raciales intenses du mouvement des droits civiques.
C’est d’ailleurs en partie parce qu’il contraste avec les stéréotypes dominants du Noir américain, et ne joue pas la “carte raciale”, que Barack Obama passe sans difficulté dans l’électorat blanc. Son physique – le métissage sophistiqué – cadre avec son discours (assez vague et très centriste) de rejet de tout ce qui divise les Américains. Il promet de réunir “rouges” (républicains) et “bleus” (démocrates), libéraux et conservateurs, tout autant que Blancs et Noirs, le tout sous le drapeau de “l’espoir”… C’est le produit de son propre parcours, mais aussi d’une stratégie mûrement élaborée. Car paradoxalement, c’est en prouvant qu’il peut être le candidat des Blancs qu’il a le plus de chances de rallier derrière lui le vote noir, composante essentielle de l’électorat démocrate. Verdict le 4 novembre.
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