America Seeks Out the Guilty Parties

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Les Etats-Unis se cherchent des coupables

Parfait inconnu, Bill Perkins, habitant Houston, doit avoir quelques moyens : trois fois en dix jours, il s’est offert une pleine page de publicité dans The New York Times. Un immense dessin y représente George Bush, Ben Bernanke, le président de la Réserve fédérale (Fed) et le ministre du Trésor, Henry Paulson, ex-patron de Goldman Sachs. Tous trois plantent l’étendard américain dans un cimetière, dans la célèbre posture des soldats conquérant d’Okinawa. Sur les tombes est inscrit : “Capitalisme” et “Entreprise privée”. Sur le drapeau, on lit : “Grandes assurances”, “Automobiles de Detroit”, “Banques de Wall Street”. Au lieu des 50 étoiles apparaissent une faucille et un marteau. Un logo figure au-dessus des trois hommes. Il est signé “Les nouveaux communistes”.

On se dit que l’Amérique déraille. En fait, elle se cherche des coupables : dirigeants devenus “étatistes” dilapidant l’argent public, banquiers “corrompus”… La nationalisation des piliers du crédit (Fannie Mae et Freddie Mac), mise en oeuvre par les chantres du marché, suivie d’un plan de sauvetage du système bancaire de 700 milliards de dollars consistant à rapatrier les titres pourris qu’il a accumulés dans les caisses de l’Etat, laissent les Américains abasourdis, ou en colère.

Un pays désorienté se cherche aussi des gourous. Ainsi Warren Buffett, l’homme le plus riche d’Amérique. Le premier à l’avoir reçu, le 1er octobre, était l’animateur Charlie Rich, sur la chaîne publique PBS. Celle-ci s’était aussi payé une page dans The New York Times : “Ecoutez ce soir le légendaire investisseur qui parlera de l’impact de la crise sur l’Amérique et de ses solutions.” Celui-ci a toujours manifesté la plus grande méfiance pour l’emprunt et pour Wall Street et ses “produits dérivés”, conseillant à ses innombrables admirateurs des placements “sécurisés”. Partisan de l’imposition accrue des plus fortunés, qu’il trouve légitime et nécessaire, il fait désormais l’objet de mille sollicitations.

Rares sont ceux qui évoquent les problèmes de fond. C’était le cas, le 5 octobre, de Peter Peterson, ancien secrétaire au commerce de Richard Nixon, et de David Walker, ex-contrôleur général du budget sous M. Bush. Eux se sont offert une double page de publicité pour rappeler que la question-clé de l’économie américaine, c’est la dette. Celle de la protection santé des retraités atteint 34 000 milliards de dollars. Celle de l’assurance-chômage, 7 000. La dette publique, 12 000. Addition : 53 000 milliards, soit 455 000 dollars par foyer, ou plus de dix ans du total du revenu familial moyen.

“Aussi dommageable que soit la crise des subprimes, nous allons vers une super-crise qui, si elle n’est pas endiguée, touchera immensément plus les Américains”, écrivent-ils, ajoutant qu’éliminer les dépenses publiques inutiles ou annuler les remises fiscales aux riches – un coup pour John McCain, un coup pour Barack Obama -, ne résoudra rien sur le fond. Ils posent ces questions aux deux candidats : “Comment ferez-vous de la responsabilité fiscale et de l’équité intergénérationnelle une priorité ?” ; “Comment ralentirez-vous la croissance du coût de la santé, qui menace l’Amérique de faillite ?” ; “Comment encouragerez-vous ce pays à épargner plus et comment réduirez-vous notre dépendance envers les débiteurs étrangers ?” A vingt-deux jours de l’élection présidentielle, les deux candidats éludent toujours les réponses avec constance.

Rien d’étonnant : les campagnes électorales sont peu propices aux réflexions de fond. Qui peut dire : “Elisez-moi et j’augmenterai vos impôts” ? Alors, M. Obama promet leur réduction pour “95 % des Américains”. M. McCain, pour 100 % : qui dit mieux ? Qu’importe si, parmi leurs conseillers, beaucoup savent qu’une augmentation de la recette fiscale est sans doute inéluctable. Le débat se restreint à la conjoncture. M. Obama assure qu’il faut “changer” en profondeur, sinon, les Etats-Unis courent à la catastrophe. L’Amérique, répète à l’envi M. McCain, connaît une mauvaise passe, mais reste “la première puissance au monde”, elle détient “les meilleurs ouvriers, les meilleurs soldats”. Il ne faut pas changer de système, mais nettoyer les écuries d’Augias.

POLITIQUE DE LA PEUR ET PATRIOTISME

Le premier clame que l’on assiste à la “pire crise depuis 1929”. Cette date génère un imaginaire instantané : la Grande Dépression. Pour une fois que la politique de la peur joue en faveur des démocrates… Jamais en retard de patriotisme, les républicains y voient une quasi-trahison, M. Obama misant sciemment sur la baisse de confiance. Or on affronte avant tout une crise de confiance, plaident-ils. Il suffirait de la rétablir pour que tout reparte. Ils ne le disent pas, mais ils pensent : “Comme avant”, à quelques retouches près.

Derrière l'”utilisation” politique de la crise se profile la question de sa nature profonde. Seuls les économistes l’abordent, sans grand écho. Trop tôt. Grossièrement, deux pôles s’en dégagent. L’un estime que la crise est structurelle. Si l’Amérique s’est tant endettée, c’est qu’elle doit acheter plus parce qu’elle produit moins (la part de la manufacture de biens dans le PIB y est passée de 32 % à 13 % en trente ans). Pour la même raison, elle finance des retraites croissantes avec de moins en moins d’emplois solides. L’endettement général – de l’Etat, des familles – ne sera résorbé que par une relance de la production, induisant une résorption de la précarité et une croissance fondée sur l’amélioration du pouvoir d’achat, pas sur une “bulle” du crédit continuant d’enfler.

L’autre pôle considère que les dérives de la financiarisation de l’économie doivent être jugulées, mais pas sa logique, devenue incontournable. Elle est le fruit d’une mondialisation qui induit une nouvelle répartition internationale du travail. Les pays riches ne peuvent s’y soustraire. La financiarisation de leurs économies ne sera pas réduite car cela les appauvrirait, alors qu’ils ont déjà une croissance très inférieure à celle des nations émergentes (Chine, Inde, Brésil, etc.), laquelle est effectivement basée sur leur rôle de producteurs de biens. Pour les tenants de cette vision, la marge de manoeuvre de tout nouveau président sera contrainte par l’environnement international et la bonne santé des marchés reste la clé de voûte de la reprise américaine. Dans leur version chimiquement pure, le premier pôle est exclusivement démocrate, le second républicain. Au milieu, on trouve des analyses “mixant” les deux thématiques chez les uns comme chez les autres. Le “vrai” plan de sauvetage ne sera connu qu’après l’élection.

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