edited by Sonia Mladin
Si les Noirs américains, encouragés par un candidat métis, Barack Obama, à la Maison-Blanche, devraient se mobiliser lors du scrutin le 4 novembre, Noirs et Blancs se connaissent peu au quotidien
Loretta Dickinson est ravie. Elle est venue ce jeudi avec sa fillette de 4 ans au Musée des enfants à Brooklyn, créé en 1899. Longtemps fermé, le musée vient de rouvrir ses portes il y a seulement quelques jours. Loretta habite non loin de là avec son jeune mari, Vince, dans un des quartiers new-yorkais en pleine rénovation de Brooklyn, Fort Green. Exactement dans l« une de ces rues où à droite vivent les Blancs, à gauche vivent les Noirs, cest-à-dire nous », sexclame-t-elle.
Loretta, 34 ans, comme Vince, tous deux vendeurs chez Sachs, le grand magasin de luxe de la 5e Avenue, est noire et loue depuis deux ans une de ces charmantes maisons de pierre brune, appelées brownstones, bâties dans la deuxième moitié du XIXe siècle. « On a eu de la chance. Cest loncle dune des vendeuses, un juif blanc libéral, qui nous la loue. »
Auparavant le couple vivait avec la famille de la jeune femme dans le quartier noir de Brooklyn, Bedford-Stuyvesant, un quartier plus grand que celui de Chicago avec ses 800 000 habitants « dans un coin où il ne fait même pas bon se promener à pied le jour et encore moins en voiture la nuit. La violence est là constante comme la recherche de la drogue et de largent pour les jeunes et les moins jeunes. Nous nen pouvions plus. Aujourdhui, nous avons une autre vie », souligne-t-elle. Voilà pourquoi elle est devant ce musée avec Lilah.
« Je veux lui montrer autre chose que des flingues, du crack ou encore des tags sur les murs. » À Fort Green, on paye une amende de 500 dollars (350 ) si on est pris à taguer un mur. « Vince a deux cousins en prison pour au moins vingt ans, lâche-t-elle, condamnés pour vol à main armée, on ne les reverra peut-être jamais libres. » Alors elle veut construire un autre avenir pour sa fille, lemmener, comme on dit à tort à Bedford-Stuyvesant, dans un endroit de Blancs pour Blancs.
40 % de Blancs et 35% de Noirs à Brooklyn
Nombreux sont les enfants noirs et blancs qui se retrouvent ce jour-là au musée. Mais Lilah narrivera pas à jouer avec Suzie et Bruce qui habitent également Brooklyn. Les deux enfants blancs sont rappelés par leurs mères qui choisissent tout dun coup de les emmener un peu plus loin faire du collage et non plus du toboggan.
« On a beau faire partie de la working class aisée [la classe qui travaille et qui sen sort relativement bien], souligne Loretta, quand il se passe un mini-incident de ce genre je me dis toujours : je suis pourtant une Américaine à part entière et voilà que je dois à tout jamais faire partie dun groupe exclu avec lequel les Blancs ont du mal à frayer, quils évitent. » Un peu plus tard, lune des responsables en communication du musée, Rhéa Smith, confiera à son tour : « Le nouveau voisinage à Brooklyn, celui entre Blancs et Noirs, a un peu de mal à se mettre en place. »
Jérôme Krase, sociologue, professeur émérite au Brooklyn College, connaît bien son quartier. Né ici, il a compris que limage à Brooklyn de la seule communauté juive, certes toujours nombreuse, a fait son temps. « Aujourdhui, Brooklyn est peuplé à 40 % de Blancs [ils sont 898 000] et à 35 % de Noirs [environ 845 000]. Les Noirs, ceux de la working class, précise-t-il, progressent dans plusieurs endroits de Brooklyn, à Fort Green ou encore à Crain Heights, si paisible, tandis que les Blancs, souvent des jeunes de milieu aisé, commencent à investir les endroits rénovés de Bedford-Stuyvesant. »
Comme tout Brooklyn est en pleine rénovation, cela a fait monter les prix, obligeant des Noirs et des Blancs qui ne pouvaient plus payer à déménager. Pourtant ceux qui demeurent là ne jouent pas la convivialité. Cest « le chacun pour soi » pour sa communauté avec une grande indifférence à lautre.
La lutte porte plus sur les dollars à gagner que sur légalité raciale
Certains comme Betty, 30 ans, sen moquent. La jeune femme tient une boutique de produits de beauté en lieu et place de lancienne librairie du cinéaste Spike Lee, le défenseur de la cause noire. Là se vendaient des livres politiques, très engagés des années 1960-1970, sur les Black Panthers, le mouvement noir radical, ou encore sur Malcolm X, le leader noir opposé aux Blancs. Betty, sourire éclatant, ne se formalise pas du fait que peu de femmes blanches viennent dans sa boutique. « Cest normal, souligne-t-elle, nous navons pas la même peau, les mêmes cheveux. Nous les Noirs avons la peau sèche, les cheveux crépus et il nous faut prendre beaucoup de crèmes différentes. »
Dautres, comme Larry, assis sur une marche de lescalier dune maison en face du joli Prospect Park, le grand espace vert de Brooklyn, font de leur différence un combat. À tout juste 17 ans, il explique : bon élève au collège public de Brooklyn, il « fait peur aux Blancs qui passent ».
Dailleurs, ajoute-t-il, « il ny a aucun Blanc dans ce collège, et je nai pas dami blanc, même si je vis ici depuis huit ans et que je suis entouré par des familles blanches qui ont des garçons de mon âge. Mon père est un homme daffaires comme les leurs. Mais cest comme sils ne me voyaient pas. Comme si, moi aussi, je ne les voyais pas. » Pour Larry, la lutte porte davantage aujourdhui sur les dollars à gagner que sur légalité raciale qui lindiffère.
« Le passé nest pas mort et enterré. En fait il nest même pas passé. »
John et Mary Caldwells, jeune couple blanc de Brooklyn, ont tenté pour leur part de nouer des relations avec la maison dà côté occupée par un jeune couple noir. John, ingénieur, Mary, designer, se sont toujours vus comme des libéraux, ouverts aux autres, peu importe la couleur de la peau. « Mais cest vrai, ajoutent-ils ensemble, nous navions pas damis noirs. Cétait comme ça. » « On sest dit, raconte alors Mary, cest quand même idiot, invitons-les un soir à prendre un pot puisquils venaient demménager et que nous étions là depuis trois ans. On va leur donner des adresses de bons restaurants, dépiceries, etc. » Ils avaient lair sympa.
Elle est styliste et lui informaticien. Des chances de sentendre. Les deux couples se sont donc rencontrés. « Le soir, ajoute-t-elle, nous étions tous les quatre un peu coincés. Je ne sais pas pourquoi. Notre histoire américaine en noir et blanc me revenait à lesprit ; lesclavage, la ségrégation, et javais limpression par leur regard que cétait pareil pour eux. Le pot a été un échec. Et ils ne nous ont jamais invités. On se sourit seulement quand on se croise », conclut Mary.
Comme en écho John cite la phrase de lécrivain américain William Faulkner : « Le passé nest pas mort et enterré. En fait il nest même pas passé. » Une phrase citée par le candidat Barack Obama dans son discours « De la race en Amérique », le 18 mars 2008, et qui fait dire à John que, peut-être, sil est élu, « les relations entre Noirs et Blancs seront moins compliquées puisquil deviendra le trait dunion entre nos deux communautés ».
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