(New Holland) Robert Pavelick Sr. n’a pas de marge de manoeuvre. Ce machiniste à la retraite doit se débrouiller pour vivre avec sa pension de 960$ par mois.
Malgré tout, la chance est de son côté, calcule cet Américain de 72 ans. Son assurance lui rembourse les 15 médicaments qu’il doit prendre depuis qu’il a fait remplacer son défibrillateur cardiaque. Et il peut faire ses emplettes chez Amelia’s, un supermarché près de son logement de New Holland, une petite ville à 100 kilomètres à l’est de Philadelphie, au coeur du pays amish de la Pennsylvanie.
«Les prix sont beaucoup moins chers», souffle-t-il sur le ton de la confidence, alors qu’il pousse d’un pas lent son panier rempli de surgelés Stouffer’s vendus deux pour 3$.
Chez Amelia’s Grocery Outlet, les prix défient la concurrence, même celle de Wal-Mart! Ainsi, le «Wow Pricing» n’est pas un slogan qui sonne creux.
De passage dans ce magasin, j’ai acheté une grande bouteille de Gatorade (69 cents), un grand V-8 (50 cents), un petit jus de pomme Tropicana (17 cents), un sac de carottes coupées (1,50$), une boîte d’amandes grillées de 212 grammes de Planters (2,49$), un demi-paquet de biscuits Fig Newton (79 cents), six boîtes de raisins secs Sun-Maid (1,69$) et un gros sac de croustilles aux légumes (2,50$). Grand total: 10,38$ avec la taxe!
«Une famille moyenne de quatre dépense 900$ par mois en épicerie. Nos magasins permettent de couper cette facture en deux. Or, avoir 400$ de plus par mois dans ses poches, ce n’est pas rien», dit Michael Mitchell, président d’Amelia’s Grocery Outlet.
La recette d’Amelia’s? Cette petite chaîne de 11 supermarchés vend des produits périmés, des produits discontinués ou des produits avec de légères imperfections. Elle écoule par exemple des poitrines de poulet de Wendy’s qui ont été rejetées par la chaîne de restauration rapide pour leurs formes ou leurs poids irréguliers.
Affaires d’or
Alors que les prix des aliments explosent (voir encadré), les supermarchés Amelia’s font des affaires d’or.
Le chiffre d’affaires de ce détaillant s’est élevé à 29,4 millions de dollars l’an dernier. Il n’était que de 19,7 millions en 2004. Cette progression de 49% en quatre ans a valu à l’entreprise familiale qui emploie plus de 300 salariés de figurer au palmarès des entreprises privées ayant la plus forte croissance aux États-Unis du magazine Inc.
Or, cette croissance s’accélère maintenant que les Américains doivent se serrer la ceinture. «On voit de plus en plus de gens de la classe moyenne faire leurs emplettes dans nos magasins, ce qui est très révélateur de notre économie», note Michael Mitchell.
Cet homme d’affaires prévoit que les revenus d’Amelia’s atteindront 36 millions de dollars en 2008. Depuis le début de l’année, les ventes des magasins comparables (magasins ouverts depuis au moins un an), la mesure de référence dans le commerce de détail, ont bondi de 15%. En comparaison, le détaillant Costco a vu les ventes de ses magasins-entrepôt comparables progresser de 6% aux États-Unis au cours de l’année qui s’est terminée le 31 août.
À noter qu’il est impossible de vérifier les résultats d’Amelia’s de façon indépendante puisqu’il s’agit d’une entreprise à capital fermé.
Le Winners de la bouffe
C’est le père de Mike Mitchell qui a lancé Amelia’s en 1989. Melvin Mitchell dirigeait un producteur de poulet congelé lorsque celui-ci a été revendu à Tyson Foods. Or, le géant Tyson ne souhaitait pas s’embarrasser des deux points de vente où ce producteur écoulait des morceaux de poulet aux formes irrégulières. Se considérant trop jeune pour partir à la retraite, Melvin Mitchell les a rachetés. C’est ainsi qu’est né Amelia’s, du nom de l’arrière grand-mère de Michael Mitchell.
Si Amelia’s connaît aujourd’hui le succès, c’est que le détaillant a gagné au fil des ans la confiance des géants de l’agroalimentaire. Kraft, General Mills, Heinz, Nabisco, Kellogg’s, Danone… Dans les larges allées du supermarché de New Holland, ces grandes marques sont beaucoup plus visibles que les produits aux appellations obscures.
«Les grands fabricants ne veulent pas vendre leurs produits à n’importe qui, dit Michael Mitchell. Ils préfèrent donner leurs produits à des banques alimentaires ou les détruire plutôt que de les écouler auprès de détaillants qui pourraient les faire mal paraître et nuire à l’image de leurs marques.»
Ainsi, Amelia’s dit apporter un soin maniaque à la propreté de ses supermarchés et à la conservation des aliments qui sont livrés à son entrepôt tout près ou passé leur date limite de fraîcheur. Dans cet entrepôt de 70 000 pieds carrés à la limite de New Holland, qui comprend deux sections réfrigérés à -17° C et à -23° C, les moteurs des chariots élévateurs ronronnent entre les hautes rangées d’étagères. Des équipes s’affairent jour et nuit à décharger les camions des fabricants et à préparer les commandes des magasins qui sont tous situés dans le sud-est de la Pennsylvanie.
Faire tourner l’inventaire
Pour cet homme d’affaires de 46 ans, qui a fait carrière chez Heinz et General Mills avant de prendre la direction de l’entreprise familiale, la réussite d’Amelia’s repose sur la rapidité avec laquelle le détaillant réussit à faire sortir un inventaire qui change de semaine en semaine.
Plus les produits s’approchent ou dépassent leur date, plus ils sont soldés. Le jour de notre visite, le 1er octobre, des clients pouvaient acheter deux paquets de quatre yogourts à boire DanActive pour le prix de 1$. Le hic: ils étaient datés du 27 septembre.
Pour écouler sa marchandise, Amelia’s s’abstient toutefois de faire de la publicité où elle annoncerait les bonnes affaires, comme ses bouteilles de ketchup Heinz et ses préparations à gâteaux Duncan Hines vendues à 99 cents. Certains des fournisseurs d’Amelia’s le lui interdisent, puisqu’ils ne veulent pas se mettre à dos leurs autres clients. De toute façon, le détaillant ne souhaite pas provoquer la concurrence. «Notre stratégie consiste à passer sous le radar», dit Michael Mitchell.
Mais la publicité générique d’Amelia’s porte. «Nous préparons un panier de provisions et nous comparons les prix des mêmes articles chez Wal-Mart, Giant ou Weis, une chaîne régionale. Nos prix sont de 45% à 55% moins chers.»
Michael Mitchell sait que certains Américains lèvent le nez sur son commerce. Mais dans ce pays aux portions généreuses où le gaspillage de la nourriture est fréquent, cet homme d’affaires croit qu’un détaillant comme Amelia’s joue un rôle important.
«On vend de la nourriture qui pourrait se perdre. On permet aux manufacturiers d’accroître leurs revenus et d’abaisser leurs prix. On fait économiser nos clients. En simple, on aide tout le monde.»
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