LES AMERICAINS nous devaient bien ça : après huit années de George W. Bush, lélection à la présidence des Etats-Unis dun homme intelligent et généreux. Mais ce quils ne devaient à personne, cest la désignation dun Noir, ou mieux peut-être, dun métis pour le poste suprême. En termes symboliques, cest lévénement le plus important dans lhistoire des relations inter-ethniques depuis lélection en 1861 dun anti-esclavagiste, Abraham Lincoln, à la Maison Blanche. Depuis mardi, ils sont nombreux à travers le monde à avoir perdu le droit de faire la leçon aux Américains. Imaginez, pour voir, la nomination au poste de Premier ministre dun Noir ou dun Asiatique en France, dun Tibétain en Chine, dun catholique au Royaume-Uni, dun Arabe en Israël, dun juif en Libye, dun chrétien en Arabie saoudite Dun seul coup, les Américains ont retrouvé leur place à la tête de la civilisation : voilà le fait majeur.
Naturellement, dès le mois de janvier prochain, Barack Obama ne pourra que commencer à décevoir. Les espérances que soulève son élection sont si démesurées, si multiples et si contradictoires quil ne pourra les satisfaire toutes. Cest bien simple : le monde entier et pas seulement les Etats-Unis attend de lui la concorde, la paix et la prospérité. Rien que cela. Si je ne craignais pas de jouer les rabat-joie, je pourrais sans grand risque esquisser ici les articles désolés qui, succédant à lHosanna universel, vont sécrire un peu partout dans le courant de lannée prochaine. Cest justement parce que je souhaite de tout cur quil réussisse que je prêche ici le calme et la pondération. Je préfère être déçu en bien, comme disent nos amis suisses, quaccablé en mal.
A léchelle internationale, la principale contradiction que va devoir affronter Barack Obama est la suivante. Ses compatriotes espèrent de lui quil rétablisse lhégémonie américaine, comme le firent en leur temps F.D. Roosevelt, Truman, Kennedy et Reagan, tandis que le reste du monde attend quil la partage. Le nouveau président va devoir expliquer aux Américains quils ne sont plus les maîtres du monde, même sils en demeurent la première puissance. Les années de Bush II ont détruit luvre de Bush I qui était allé rétablir lordre au Koweït et en Irak avec laval de la communauté internationale. Barack Obama va devoir reprendre les problèmes internationaux là où Bush le père, puis Bill Clinton les avaient laissés. Cest-à-dire renoncer à une gendarmerie du monde devenue impossible dans le quotidien au profit dun leadership devenu nécessaire. Tout le monde sait que la confrontation Etats-UnisChine va dominer les prochaines décennies. Il est vraisemblable quune diplomatie de mouvement succède à limmobilisme.
Dans ce contexte, lEurope pourrait jouer un rôle essentiel, à la fois darbitre et dintermédiaire. A condition quelle existe, ce qui est encore loin dêtre le cas. Dans la crise que nous traversons, la solidité de leuro, la sagesse de Jean-Claude Trichet et la hardiesse de Nicolas Sarkozy nous ont évité le pire. Mais les eurosceptiques veillent ; le déclin est leur royaume.
Il ne faut pas compter sur Barack Obama pour nous dispenser de faire lEurope. Au contraire. Les présidents de gauche, partisans dun fort leadership américain, à limage de F.D. Roosevelt et de J.F. Kennedy, nont jamais été pour les Européens, et notamment pour les Français, des partenaires faciles. Avec la crise économique mondiale et le nouveau cours américain, une nouvelle époque commence. Nous ne pouvons plus nous contenter dune quasi-Europe menant une quasi-politique avec de quasi-institutions. Lélection de Barack Obama nous place devant un choix contraignant : sortir de nous-mêmes ou sortir de lHistoire.
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