L’ «Américain» nest plus un crétin, il faut oser le dire. Pour avoir couvert la campagne de réélection de Bush il y a quatre ans (1) javais vu comment le cocktail débilitant «mariage gay-avortement-famille-religion-terrorisme» agité dans le chaudron dit «bouillon de valeurs morales» avait fait basculer des Etats entiers dans la besace de W.
LAméricain, le «vrai», selon la mythologie conservatrice, est blanc, en famille, patriote, extrêmement religieux, déteste le socialisme, le communisme, les gens dailleurs, et payer des impôts. Il est tellement naïf quil croit sauver lAmérique en attaquant lIrak, et, de toute façon, il est investi dune mission : promouvoir son modèle aux autres peuples (sans leur demander leur avis). Cet Américain, sil a existé, nexiste plus. Cest la terrible découverte que viennent de faire McCain et le camp républicain. Et la super-bonne nouvelle pour lAmérique et le reste du monde. A J – 5, la situation est devenue limpide. Obama va gagner parce que lAmérique à laquelle sadressent McCain et Palin nentend plus leurs discours. LAméricain blanc – celui que McCain appelle Joe-le-Plombier ou que Palin appelle Joe-le-buveur-de-bières – ne marche plus dans les mensonges. Il a vu la guerre en Irak, il subit la crise, alors les envolées républicaines sur lavortement, les impôts ou la victoire américaine en Irak ne le touchent plus. Le dernier sondage montre que la moitié des hommes blancs va voter démocrate. Pour la première fois depuis trente ans ! Ils veulent maintenant quelquun qui parle concret, calme, modéré : au centre. Ils refusent de mépriser lintellectuel, la fameuse «élite» que dénonce le camp de McCain – Obama est diplômé de Harvard. Ils refusent davoir peur (de Ben Laden, des ennemis de lAmérique, etc.) LAméricain blanc masculin sest fermé à lagitation idéologique ringarde, il est entré dans lère du rationnel. Dailleurs cest un président républicain, Ronald Reagan, qui avait dit avec intelligence : «Jespère que lhistoire se souviendra que jai fait appel à nos plus grands espoirs et pas à nos plus grandes peurs.» LAméricaine blanche nest pas plus dupe. Parce que la candidate républicaine est une super-mère (cinq enfants), gouverneure dAlaska et en plus sexy, les Américaines devraient toutes se sentir des Sarah Palin ? Les hommes se sont laissés un peu séduire, au début, mais lécrasante majorité des femmes na pas marché au chantage biologique. Les Américaines ne votent pas Palin. Et si un jour elles choisissent de soutenir une candidate, ce sera pour ses idées, non pour sa «nature féminine». Le Womens Lib a finalement gagné la bataille, les électrices sont après tout des électeurs comme les autres (ou mieux)
LAméricain noir sest lui aussi émancipé dans cette extraordinaire aventure. Il a surmonté sa méfiance envers un Obama presque blanc qui refuse de parler en termes de Noir ou de Blanc, de minorités et de quotas, de récriminations et de haines. Qui ne parle pas «ghetto» mais sexprime comme nimporte quel professeur chic de Harvard. Et les foules dAfro-Américains se précipitent pour voter en avance, dans un enthousiasme absolu pour ce candidat qui ne reprend plus les vieux leitmotivs de la communauté noire. Et, comme ils disent, rationnels eux aussi, ils sont fiers mais ils ne votent pas pour lui parce quil est noir : ils aiment le candidat.
On peut continuer le tour des Américains réels, pas ceux fantasmés par les conservateurs. LAméricain hispanique se précipite aux urnes. Les 44 % qui avaient voté Bush à la dernière élection ont rétréci : les hispaniques surmontent leur traditionnelle antipathie à légard des Noirs et plantent des pancartes Obama-Biden sur leurs pelouses, collent des stickers à larrière de leurs voitures. Ils feront probablement basculer des Etats qui hésitent, et si ce nest pas cette fois-ci, ce sera dans quatre ans avec la montée en puissance démographique de ces nouveaux Américains.
Enfin lAméricain jeune, lAméricaine jeune. Ceux-là ne veulent plus dune Amérique arrogante et détestée. Ils ne veulent plus du vieil homme blanc qui radote. Ils sen fichent de la couleur, ils veulent de lespoir. De la solidarité. Certes, les républicains gardent des bastions dans les campagnes et chez les extrémistes religieux, les nostalgiques et probablement quelques racistes. Mais leur pouvoir se dissout, lAmérique profonde qui occupait toute la carte politique, rouge républicain entre les deux côtes bleu démocrate, a fondu. Les Républicains vont perdre une soixantaine de sénateurs, et la majorité. Il ny a pas deux Amérique. Mais les Américains. Et ils ont, comme le dit le prix Nobel déconomie Paul Krugman, redécouvert la vertu du «sérieux» face à un monde qui semble sécrouler.
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