The Man We Need

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D’abord il faut écrire ces mots en toutes lettres. Les lire lentement à haute voix pour mesurer l’ampleur de la nouvelle, sa charge d’histoire et d’émotion : le peuple américain vient d’élire à la Maison Blanche un homme à la peau noire. Quelle intelligence, quelle maestria, quel sang-froid aussi a-t-il fallu à Barack Obama pour enlever un scrutin qui, rappelons-le, était tout sauf acquis, si l’on se reporte moins d’un an en arrière. Combien d’écueils évités, de pesanteurs et de préjugés vaincus, avant de donner par sa victoire un puissant signal d’optimisme à l’Amérique et au reste du monde. Obama a fait coïncider l’espoir avec le noir. Sans que jamais, et ce fut sa virtuosité, il apparaisse comme le candidat d’une communauté.

Mêlant sa jeunesse à la sagesse qui n’a pas d’âge, le sénateur de l’Illinois a su dépasser les fractures originelles d’une nation née dans l’esclavage et la ségrégation pour la rattacher à son idéal fondateur, le fameux “E pluribus unum” : faire un seul de plusieurs; considérer que la multitude des origines n’empêche pas le partage d’une aspiration commune.

Président postracial? Oui, et surtout légitime pour se faire entendre sur les deux berges de cette cicatrice mal refermée entre Noirs et Blancs, ce passé “qui n’est même pas passé” comme il l’a déclaré, citant Faulkner, dans son exceptionnel discours de Philadelphie, le 18 mars, où s’est imposée sa quête forcenée et pourtant si calme, si sûre, d’une “Union plus parfaite”.

Pour vaincre, il devait convaincre.

Barack Obama l’a fait en racontant une histoire “qui n’aurait été possible dans aucun autre pays du monde” ; son histoire métisse qui plonge ses racines en Afrique et en Asie. Un père Kényan (et non descendant d’esclave), une grand-mère paternelle vivant sur les bords du lac Victoria, une aïeule maternelle blanche, décédée la veille de son sacre, pleine d’amour et de préventions raciales, craignant les Noirs autant que l’ancien mentor d’Obama, le révérend Wright, pouvait fustiger les Blancs.

Le nouveau président a transcendé les tensions pour atteindre l’essentiel : placer dans une seule balance rancœurs noires et inquiétudes blanches, les unir dans un même dessein de justice. Il est ainsi le premier à s’affranchir d’une lourde et longue chaîne qui va des premiers esclaves bâtisseurs du Capitole au mouvement des droits civiques. De Martin Luther King à Malcolm X, de Rosa Parks (jadis verbalisée pour n’avoir pas cédé sa place à un Blanc dans un bus en Alabama), à Condy Rice ou à Colin Powell propulsés vers les sommets de l’Etat.

“Avant même d’être élu, Obama a fait plus pour la cause noire dans le monde que Martin Luther King”, a pu déclarer ces jours-ci en privé un chef d’Etat Africain. “Ce sera d’abord un président américain”, a jugé un autre. Parfait résumé de la scène qui va se jouer maintenant : les Etats-Unis ont en effet choisi un Américain qui défendra le leadership et les intérêts américains – jusqu’au protectionnisme –, et nul doute que des millions de Noirs se sentiront désormais plus américains qu’ils ne l’étaient avant, sans que des millions de Blancs s’en trouvent lésés.

“America is back”, avait claironné Ronald Reagan en 1980. “America is black”, nous dit aujourd’hui la plus grande puissance de la planète, une puissance meurtrie par ses guerres sans fin, par son image défaite, par la haine inouïe et insupportable qu’a pu susciter l’administration sortante, son repli sur soi, son manichéisme et ses réflexes anachroniques aux relents de guerre froide.

Après avoir par deux fois élu George W. Bush, dans un virage incroyable d’audace, de dynamisme et de foi en ses propres ressources, l’Amérique met ainsi un terme à sa révolution conservatrice faite de dérégulation et de loi sauvage du marché, achevée dans la crise des subprimes et l’écroulement du système financier. Grâce à son charisme et à sa lucidité, Obama s’impose ainsi comme l’homme du moment, l’homme du maintenant de l’Amérique, rejetant brutalement dans un hier sombre le président sortant et John McCain, qui prétendait lui succéder.

Voilà la chance de ce pays, et celle de ses partenaires. Celle aussi de ses ennemis, à commencer par l’islamisme armé qui s’est nourri d’une idéologie bushiste belliqueuse, de ses slogans répulsifs sur l'”axe du Mal”, de ses pratiques indignes d’une démocratie, de Guantanamo à Abou Ghraib. Après Bush enfermé dans ses certitudes démenties par la réalité, Obama offre au monde un autre visage, en même temps qu’à l’Amérique l’occasion tant espérée de se regarder en face, dans un respect retrouvé de soi, de ses valeurs et de ses institutions politiques.

“Obama va régénérer la marque Amérique comme Jean Paul II a relevé la marque papauté”, note avec esprit le commentateur Andrew Sullivan. De l’avis de Jean-David Levitte, conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy et excellent connaisseur des Etats-Unis, où il représenta longtemps la France, le nouveau président “ne porte pas une vision différente du monde. Il s’est construit seul et ne doit rien à personne”.

Ayant forgé lui-même ce qu’il est, son message et son programme, “il n’est pas marqué par une idéologie démocrate” qui viendrait se substituer à la précédente.

Le maître mot qui vient au sujet de Barack Obama, c’est son pragmatisme. Sans doute sera-t-il plus coopératif avec ses alliés, adepte du softpower, plus enclin à chercher le dialogue là où il a cessé, comme en Iran. “Mais son multilatéralisme n’ira pas très loin, prévient Hubert Védrine, l’ancien ministre des affaires étrangères du gouvernement Jospin. Jamais il ne fera dépendre la politique des Etats Unis d’une réunion à l’ONU.” Entouré des équipes diplomatiques de Bill Clinton1 (1992-1996), Obama a inversé les rôles face à McCain. Il a paru mettre l’expérience de son côté. Et c’est son rival qui est devenu au fil des jours le candidat inquiétant, peu sûr de lui. Par son slogan “le changement crédible” (“change we can believe in”), le nouveau président a annoncé la couleur : il fera son possible, tout ce qui peut réussir pour réduire les injustices, éduquer, soigner, aider les gens à se loger, à trouver un emploi, dans une approche où l’Etat joue son rôle sans pour autant révoquer l’économie de marché.

Obama est un “possibiliste”. S’il est juste de le comparer à John Kennedy, (“un réaliste brillamment déguisé en romantique”), il faut ajouter aussitôt qu’il est l’homme de son époque, le mieux en phase assurément pour plonger l’Amérique dans le bain multipolaire de ce XXIe siècle.

Sur chaque dossier ou presque, hormis l’idée directrice consistant à s’affranchir au plus vite de l’héritage Bush, Barack Obama s’en est tenu à de grandes orientations, comptant sur ses facultés de compréhension rapide pour prendre les décisions appropriées.

Porté au pouvoir sans doctrine véritablement établie, le voilà chargé du rêve américain, ouvert et souriant, préférant le calme au drame, la raison à l’excès. Il est l’homme qu’il faut. A lui d’inscrire ce moment dans la marche du temps.

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